Édition d’un roman : la fine typographie

Cet article fait partie d’une série consacrée à la mise en page d’un livre de fiction, roman ou recueil de nouvelles.

Ce texte utilise le vocabulaire de la typographie. Si vous craignez de ne pas tout comprendre, je vous suggère le petit résumé que j'en ai fait.

Les articles précédents portaient sur les aspect les plus visibles de la mise en page d’un livre. Ils présentaient des normes importantes; manquer à l’une de ces normes défigure immédiatement le texte. Mais il y a des aspects moins évidents à la typographie, que des lecteurs, même avertis, sont peu susceptibles de détecter au premier regard. Il s’agit de ce que j’appelle la fine typographie.

Je ne suis pas aussi pointilleux qu’on pourrait le supposer à la lecture des articles précédents (bien que je considère qu’être pointilleux est une nécessité dans mon métier, et devrait aussi l’être dans celui d’écrivain ou d’éditeur). Je néglige régulièrement la fine typographie dans le texte courant que j’ai à monter, pour la simple et bonne raison que mon temps est limité, et que personne, pas même moi, n’est en mesure de constater à la volée qu’une espace fine est présente ou non. En fait, je vous ficherais bien la paix avec ces aspects si ce n’était d’une simple réalité: bien des gens semblent croire que (petit a) la typographie se limite à la fine typographie et (petit b) ils en connaissent les règles. Il y a toutes sortes de sites qui donnent des conseils, le plus souvent à tort et à travers, et surtout à propos des espaces. Résultat, les monteurs perdent un temps fou à respecter des règles inutiles ou erronées qui n’aident en rien la présentation de leur texte.

Quelques malentendus sur la typographie fine

Espace avant la ponctuation, quelle est la règles?

Quelques sites vous donnent un truc: espace de ponctuation double (comme !, ? ou ;) égale espace avant (certains, conscientieux, ajouteront «insécable» pour faire croire qu’ils savent de quoi ils parlent), dans les autre cas (un point ou une virgule, par exemple) pas d’espace. Hum!

Machines arrières toutes, s’il vous plaît.
Il s’agit là de normes françaises (comme dans France) qui s’appliquent au traitement de texte. Il n’y a rien de mal à être Français mais, chauvinisme à part, je préfère les règles québécoises en ce qui a trait au traitement de texte. Quant il s’agit d’imprimerie, je préfère les règles, les vraies.

Vous ne devez pas baser votre mise en page sur des pis-aller construits pour pallier les manques des traitements de texte (et surtout pas en fonctions des normes caduques de la machine à écrire). Vous utilisez un vrai logiciel me mise en page, non? Alors utilisez les vraies normes. Vous les trouverez dans le Ramat de la typographie, que je vous recommande.

Le seul signe de ponctuation qui nécessite une espace avant lui est le deux points. Il s’agit généralement d’un espace d’un quart de quadratin, qui aura la particularité de ne pas s’étirer si on justifie le texte (ce détail a son importance, comme on le verra).

Les autres «caractères doubles» pour continuer à utiliser cette nomenclature arbitraire, peuvent être utilisés avec une espace fine (la valeur de l’espace fine varie entre le quart et le sixième de quadratin). Comme le quart de quadratin, l’espace fine ne grandira pas en cas de justification du texte. Cela a son imporance: ainsi, le signe de ponctuation reste visuellement attaché à la phrase à laquelle il appartient.

Malheureusement pour l’espace fine, les traitements de texte ne l’admettent pas. Dans les faits, à la taille d’un texte courant, l’espace fine est si difficile à remarquer que je l’emploie rarement. Si je devais monter un livre, je le ferais certainement, à l’aide de la fonction «recherche-remplacer». Mais si vous décidez de passer outre, vaux mieux pas d’espace du tout qu’une espace standard.

Car l’espace est votre ennemie, bonnes gens! Souvenez-vous de la justification et de ses pièges. Un «;» flanqué de deux espaces, prêtes à s’élargir au moindre caprice, attire les lézardes comme un paratonnerre attire les éclairs.
Notez que la même constatation est vraie pour les espaces qui bordent l’intérieur des guillemets: mettez des espaces fines, ou pas d’espaces du tout.

Et les fins de phrases?

Quelques règles restent héritées de l’ère maudite des machines à écrire. Ce sont maintenant des erreurs. Heureusement, elles tendent à se raréfier, mais elles ont encore leurs partisans enragés. Une de ces règles les plus tenaces est celles des deux espace après une phrase. C’est un vestige détestable, aussi désagréable qu’une ceinture de chasteté. Il ne faut jamais mettre deux espace côte à côte. En quatorze ans de métier, je n’ai jamais vu une exception à cette règle. Tiens, faites-tout de suite un petit «rechercher-remplacer» pour vous en débarraser.

Autre vestige des machines à écrire: le souligné

Le souligné est un pis allé utilisé pour remplacer l’italique à l’époque de la machine à écrire, incapable de les reproduire. Il est intrusif, coupe les jambages, alourdi le texte et a perdu toute raison d’être. Il doit être banni. Je n’en ai jamais vu dans un livre de fiction, même les plus mal montés, mais on ne le répètera jamais assez.

Fausses apostrophes, faux guillemets: le danger vous guette

Si, effrayé de bon droit par les tonnes de considérations que je vous assène, vous décidez de confier la mise en page de votre livre à un professionnel, je vous suggère le teste suivant: demandez-lui de taper une apostrophe sur son clavier. S’il réussit, il est probablement bon. S’il échoue, c’est un minable et ne l’engagez surtout pas, même pour tondre votre gazon.

«Mais comment ne pas réussir à taper une apostrophe?», vous demandez-vous. C’est pourtant juste là, au-dessus du point sur le clavier. Ba non. Encore une chiure qui nous vient de la machine à écrire. La véritable apostrophe typographique est une virgule en hauteur, pas une barre droite complètement verticale. Il y a une manière de la taper avec votre clavier en faisant des nœuds dans vous doigts (majuscule-commande-è sur les macs). InDesign se fera un plaisir de vous faire un remplacement automatique (si le graphiste de tout à l’heure tapait dans InDesign, ça compte pas, mais donnez lui un bon point pour le choix judicieux de logiciel). Et si votre texte en est truffé (comme les miens), un petit rechercher-remplacer est de mise.
Ne le négligez pas. Les faux apostrophes sont un signe très sûr de typographie du dimanche, en particulier dans les passages en italique. Je n’achèterai jamais un livre montée avec des fausses apostrophes.

Vous verrez de ces faux-apostrophes un peu partout. J’en ai déjà vu un de deux pieds de haut sur un panneau routier, dans une phrase composée en scripte, ce qui est un comble!

Les mêmes remarques s’appliquent aux guillemets.

Les dialogues

Il y a trois méthodes courantes pour présenter les dialogues. La première, traditionnelle, est d’ouvrir la première réplique avec un guillemet ouvrant, marquer les changement d’interlocuteur par un tiret et fermer la dernière réplique par un guillemet fermant. C’est ma préférée, parce qu’elle me permet d’insérer des répliques au sein d’un paragraphe, lorsque je veux apporter une forte unité entre les mots et leur contexte (le plus souvent psychologique).

La deuxième est de marquer chaque réplique par un tiret, sans utilisation de guillemet. Chaque réplique exige alors son propre paragraphe. Elle est très populaire, mais elle a l’inconvénient de ne pas permettre des répliques de plusieurs paragraphes.

La troisième est d’introduire chaque réplique entre ses propres guillemets, le changement de voix correspondant au changement de paragraphe (en général). C’est la méthode la plus souple, mais pas nécessairement la plus évidente pour le lecteur. Les livres de la série «A Song of Fire and Ice», que je lis présentement, utilisent cette technique, et j’en ai vu plusieurs exemples dans des livres en français également.

Alors, laquelle choisir? La réponse est simple, claire et limpide: vous ne devez pas choisir. Le choix appartient à l’auteur. La manière de présenter les dialogues influence le texte. Si une intervention est exigée, elle doit se faire à la révision de copie, avec l’éditeur et l’accord (en fait, la participation, puisque ça implique une réécriture) de l’auteur. Je le spécifie, parce que j’ai déjà vu une revue amateur «corriger» mes dialogues en utilisant leur manière préférée, sans me demander mon avis ou même me le signaler, et j’en ai éprouvé une certaine irritation.

Donc, à moins que vous soyez l’auteur, ne touchez pas à la méthode de présentations des dialogues.

Néanmoins, les dialogues devraient être présentés de manière cohérente à travers tout le livre.

Lorsque le tiret est utilisé, ce doit-être un tiret quadratin, et non un trait d’union. C’est une règle connue, et je n’ai pas encore vu de maison d’édition y manquer. Par contre, j’ai déjà vu un roman autoédité utiliser deux traits d’union (--) à la place, ce qui est un pis-aller hérité, encore une fois, de la machine à écrire. Les maisons d’éditions le recommandent, faute de mieux, dans les manuscrits, sans doute parce qu’il est facile d’exécuter un chercher-remplacer avec un trait double, alors que c’est plus délicat avec un trait simple. Je sais que bien des traitements de textes (tous ceux que je connais) font le remplacement automatique des deux traits par le tiret quadratin, alors il n’y a pas de raison de s’en priver.

Le tiret doit commencer après un alinéa normal, comme spécifiés dans un autre article. À ma connaissance, seule la maison JKA commet l’erreur d’omettre l’alinéa des répliques.

De manière usuelle, lorsqu’une réplique s’étend sur plus d’un paragraphe, le nouveau paragraphe commence par un guillemet ouvrant, sans guillemet fermant. Lorsque un autre dialogue est contenu dans le premier, chaque ligne commence par un guillemet ouvrant en typographie classique. C’est une instance rare (je ne l’ai rencontrée que dans les aventures de Sherlock Holmes) qui pose quelques problèmes en PAO, et elle n’est pas solidement ancrée dans les normes. Si vous avez à vous y frotter, référez-vous aux manuels (je crois que le Ramat en parle) tout en maudissant l’auteur qui emploie des procédés aussi tordus.

La réalité n’est pas suspendue à l’approche d’un dialogue. Donc pas de saut de ligne avant et après (en fait, je dirais jamais) ou d’invention de nouvelle règle typographique farfelue.

Les ligatures: dura lex, sed lex

Les «œ» comme dans «œufs» les «æ» comme dans «curriculum vitæ», aucun logiciel ne vous les fera automatiquement, et les correcteurs orthographiques vont les ignorer. Ils sont malgré tout obligatoires. Heureusement, ce sont des instances assez rares. Un petit «rechercher-remplacer» (sélectif, par pitié) de deux minutes devrait vous permettre de faire le tour.

Il faut aussi spécifier le cas particulier des «fi» et «fl». Une fonte complète devrait comporter des ligatures pour ces deux lettres afin d’éviter les chevauchements disgracieux. Veillez à ce que la vôtre les comporte, ou changez-en. Si c’est le cas, votre logiciel de mise en page devrait les activer automatiquement.

Le piège des faux-styles

C’est une des chausses-trappes les plus communes de la typographie. Les styles de caractères (gras, italiques, petites capitales) sont des caractères dessinés à part, par des créateurs attentifs aux moindre détail. Les polices de qualité en contiennent parfois un grand nombre. Mais lorsque ces styles ne sont pas présents pour une police donnée, certains logiciels de qualité inférieure (j’entends ici QuarkXPress, Scribus et les traitements de texte en général) vous les inventer sournoisement. Les gras seront simulés en rajoutant une quantité égale de noir tout autour de la lettre, les italiques seront simplement des romaines penchées de force et les petites capitales... Pour les petites capitales, c’est le massacre. En prenant simplement les majuscules normales et en les rapetissant, le logiciel crée un amalgame incohérent où la majuscule est deux fois plus massive que les minuscules, et où ces dernières sont trop étroites par rapport au véritable dessin qu’un petite capitale mérite. Pour un œil non averti, ces maltraitances peuvent passer pour normales. Elles sautent immédiatement aux yeux de quiconque a un minimum d’expérience. Voyez plutôt:

Cliquez sur l’image pour la voir avec les proportions réelles.

On voit immédiatement sur cette image à quel point les approximations des logiciels ne sont pas fidèles à l’original. Le faux gras ressemble à une tache, l’italique est aussi différent que possible (regardez les «a», très caractéristiques) et les petites capitales sont disproportionnées et fragiles, bien loin des dessins délicats de l’original.

Si les gras sont rarement employés en fiction (en tous cas dans le corps de texte), les italiques sont généralement essentiels. Quand aux petites capitales, il s’agit d’un raffinement hélas assez rare. Vérifiez toujours, avant d’employer un de ces styles, que la police de caractère que vous utilisez les comporte.

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