Vampires et religion — croix et autres objets repoussants
Ceci est le quatrième billet d’une série sur les forces et faiblesses des vampires. Les autres billets portaient sur le soleil et les vampires, sur le sang et l’alimentation des vampires et sur les métamorphoses du vampire.
Les croix sont une des faiblesses les plus communes des vampires, et ce depuis le début du mythe. Les humains inventent rarement un monstre sans inventer en même temps une défense contre lui, et la religion est la plus commune de ces protections.
Il reste que, d’une interprétation à l’autre, la croix perd beaucoup de son efficacité, et soulève de nombreuses questions logiques, lesquelles sont rarement considérées de front.
Les croix sont-elles efficaces pour se protéger des vampires? Dans quelle mesure? À quelles conditions? Qu’en est-il des autres symboles religieux? Autant de questions sur lesquelles tout auteur devra tôt ou tard se pencher.
La protection divine
Si, dès l’origine, la croix protège des vampires, c’est que le mythe vient d’une époque ou l’on ne doutait guère du pouvoir de Dieu. Le pouvoir du vampire provenant nécessairement du diable, tout symbole religieux protège automatiquement son porteur. De nos jours, non seulement en est on moins certain, mais on se trouve presque toujours des sympathies pour les autres fois que la foi chrétienne.
Dans certaines version, les croix sont d’une telle puissance que les héros peuvent croiser n’importe quels bouts de bois en forme de croix pour se retrouver automatiquement protégés. Cet extrême est surtout présent dans les parodies, mais il reste cohérent avec la théorie: si Dieu intervient en personne pour protéger sa créature, il ne va pas commencer à chipoter sur la qualité du symbole. Ceci dit, cela reste un moyen de protection trop simple à utiliser pour être efficace du point de vue dramatique.
Notons que la protection transcende la barrière des confessions. Quand Dracula touche la croix que porte Harker, il recule. Harker est portant protestant, et rejette donc les représentations du Christ. J’imagine que Bram Stoker, un Irlandais, devait être catholique.
Il existe aussi d’autres problèmes, généralement escamotés par la superstition et qui intéresse davantage la théologie: si Dieu existe et qu’il est si puissant, pourquoi autorise-t-il l’existence de morts-vivants suceurs de sang? Si la question n’intéresse pas les vrais théologiens, qui ne croient pas aux vampires, tout auteur doit la considérer au moins pour des questions de cohérence.
Une autre question surgit tout à coup, surtout dans notre monde politcaly correct: quelle est la seule vraie foi? La nature divine d’une protection accordée par une croix prend le parti de la vérité de la foi chrétienne, pour ne pas sire catholique romaine, les protestants étant moins friands de crucifix de toutes sortes. Un musulman, un juif, un wiccan ou un Shintoïste ne seraient pas protégés, et ça couvre tout de même une confortable majorité du globe, où les vampires devraient en toute logique pulluler. Cette idée est d’ailleurs reprise de manière humoristique dans «La Momie», un assez mauvais film où un guide utilise toutes sortes de symboles religieux pour se protéger de la momie, sans d’ailleurs le moindre succès.
L’armure de la foi
«Il faut avoir la foi pour que ça fonctionne», clamait le vampire de Fright Night. En effet, une autre interprétation veut que la foi protège des vampires, et non le symbole lui-même.
Cela est cohérent avec la rhétorique chrétienne, ou Dieu ne se complique pas la vie pour ceux qui entretiennent le moindre doute sur son existence. Mais, soyons francs, c’est surtout un effet pervers de la popularité crasse de la pensée magique, qui fait vendre par million «Le Secret» et autres niaiseries.
C’est entre autre le cas dans le jeu de rôle «Vampire: The Mascarade», dont l’univers est tout entier basé sur la pensée magique: l’univers y est malléable, et c’est la pensée qui lui donne forme. Ainsi, un individu à la foi monolithique pourra repousser et même blesser les vampires, qu’il soit chrétien, musulman, bouddhiste ou que sais-je.
Dans le (très mauvais cette fois) fil Draghoula, la mère du héros parvient à déterminer que tous les symboles religieux protègent contre les vampires, à condition d’être utilisé par un membre de la religion correspondante.
Je ne cacherai pas que je déteste l’idée que la simple foi protège contre les vampires. À ce compte, pourquoi ne protègerait-elle pas aussi contre les animaux féroces, les accidents de la route ou la grêle? À la limite, que Dieu n’intervienne que pour sauver ses ouailles les plus ferventes, au détriment des autres, me semble plus logique, même si ça relève du mauvais service après-vente.
Le cas particulier des séries télé
Il existe une détestable tendance à adopter le caractère protecteur des symboles religieux sans le lier à la question religieuse ou à la fois et, ainsi, lui trouver une explication cohérente. Je l’ai surtout remarqué dans les séries télévisées de ce que l’on peut nommer l’urban fantasy.
De manière générale, ces séries présentent des univers littéralement grouillants de démons et, ne serais-ce que la présence de jeunes blanc-becs surdoués vivant en Californie, il y aurait trois Apocalypses par semaine environ. Si les démons sont omniprésents, au point où ils en viennent à se tuer entre eux, les pouvoirs du bien sont parfois entrevus, diffus, mal définis et jamais du moindre secours.
Témoin la prestigieuse Buffy, en bonne partie responsable du déferlement des dites séries. L’univers est complexe, avec des milliers de dimensions démoniaques. Les vampires y sont très sensibles aux croix, et les questions de foi n’y sont pas souvent abordées, et généralement pas à la faveur des croyants. L’âme existe, elle est même palpable, transférable, conservable dans de petits pots. Si les vampires la perdent, on peut leur remettre, ça c’est déjà vu quatre fois fois (une fois pour Spike trois fois pour Angel, si on compte sa série dédiée). On y mentionne le paradis en saison 6, ce qui pourrait laisser croire à une vision judéo-chrétienne du monde. Cependant, l’univers est franchement polythéiste. La déesse Hécate y est évoquée (avec un succès spectaculaire) en saison 1, et Willow force Osiris en personne à apparaître en saison 6. Glory, le gros méchant de la saison cinq, est une déesse, qui régnait sur une dimension à elle avec deux autres divinités. Les chrétiens sont parfois présents, mais pas toujours sous un jour favorable. Les moines qui protègent la clé au début de la saison cinq utilisent la magie, afin de tromper Buffy, il est vrai dans un but noble. Un ordre de chevalier monastique évoquera dans la même saison la volonté de Dieu pour tenter de tuer Dawn, et tous ceux qui se mettraient sur leur chemin. Enfin, le sinistre Caleb de la saison sept,un prêtre qui incarne à lui seul toute la misogynie de l’église, est le seul à tenir une tentative de discours théologique.
Je suis toujours un peu perplexe quand je suis confronté à ces univers bâtards, qui allient le panthéon avec la dualité bien-mal propre au Mazdéisme, et passé ensuite à toutes les religions qui en descendent. Ces deux systèmes sont incompatibles, mais une sorte de syncrétisme à la mode les accole tout de même sans arrêt, sans se soucier une seconde de cohérence. Si Dieu n’existe pas, ou se retrouve à n’être qu’une entité parmi d’autres, d’où vient l’efficacité du pouvoir de la croix? Cela n’est pas plus expliqué que la curieuse impossibilité d’entrer là où on n’est pas invité.
Mais bon! Tant que le démon de la semaine est détruit, pourquoi bouder son plaisir?
Reste que certains soucis particuliers apparaissent dans les séries télé. La répétition sempiternelle de l’affrontement avec les même créature amène ses propres soucis de cohérence. Ainsi lorsque Buffy, privée de ses pouvoirs, présentera une croix à un vampire désireux de la recruter, celui-ci lui retirera la croix des mains, simplement en supportant la douleur. Pourquoi est-il le seul à y avoir pensé?
Les croix? Qu’est-ce que c’est que ce machin?
Si la croix est une faiblesse courante des vampires, elle n’est en rien universelle. De nombreux vampires s’en fichent royalement, foi ou non, ainsi que de l’eau bénite, du sol consacré et tout le bataclan. Ann Rice, parmi d’autres, écarte ainsi ces soucis de ses petits protégés. Je ne crois pas que les vampires de Twilight y soient sujets non plus, même si les croix sont curieusement absentes de cette fable mormonne. Dans True Blood, Bill retire un drapeau qui cachait une croix, pour bien montrer à la population de Bon Temps qu’il n’est pas un démon et, si je me souviens bien, l’anecdote est tiré du livre «Dead Until Dark» tel quel.
L’approche «les croix ne repoussent pas les vampires» a l’avantage d’évacuer les questions théologiques et d’être cohérente. Elle est aussi compatible avec la vogue du vampirisme, maladie virale, qui admet les ultra-violets et l’ail, mais difficilement la métaphysique.
Aussi jolie soit la cohérence apportée, c’est malheureusement pour des raisons plus pratiques que les auteurs choisissent l’efficacité des croix ou non. De manière générale, les histoires basées sur une confrontation entre des héros mortels et de méchants vampires tendent à favoriser la croix, histoire de donner une chance aux protagonistes devant un adversaire supérieur. À l’inverse, les histoires dont les héros sont en bonne part des vampires tendront à supprimer cette efficacité encombrante.
Les vampires ont-ils la foi?
La religiosité des vampires est un sujet passablement écarté des récits vampiriques.
L’idée qu’un vampire soit d’emblée maléfique dès son éveil tend à s’essouffler. On nous présente de plus en plus le vampire malgré lui, qui se lamente sur son sort à cœur d’épisode ou passe des chapitres à bassiner sa petite amie avec sa prétendue malédiction. Alors pourquoi les vampires ne seraient-ils pas aussi religieux, disons dans les mêmes proportions que les humains?
Qu’est-ce que je t’ai fait, Jésus, que tu m’aimes plus?
Que se passe-t-il si un vampire croyant se trouve repoussé par une croix? Logiquement, il devrait y voir la preuve qu’il est devenu un démon. À partir de là, il peut embrasser la profession ou se taper une sévère dépression. Un incroyant? Il se retrouve avec une preuve tangible de l’existence de Dieu, et que Dieu le déteste. Le vampire a donc un choix: vivre comme un démon, fidèle à l’image que tout le monde a de lui, ou alors s’engager avec plus ou moins de courage dans une quête spirituelle de rédemption. Cette quête se nomme «Golconda» dans The Mascarade, mais je ne lui connais pas d’équivalent en littérature. Cette quête n’est pas proprement chrétienne, ceci dit, mais concerne surtout le degré d’humanité des vampires.
Nous sommes des dieux
On peut facilement imaginer des vampires si anciens qu’ils dépassent l’âge du Christ, on même la fondation du Mazdéisme, ancêtre de toutes les religions monothéistes. À cette époque, un vampire se serait probablement fait passer pour un dieu. Les peuples anciens attribuaient en effet aux dieux des formes humaines et des corps ayant besoin de sacrifices, très souvent des sacrifices de sang.
Un des ennuis avec cette approche, c’est la raison de la disparition de ce culte. Avec des vampires chaque année plus puissants, leurs cultes auraient dû se renforcer d’année en année. Et qu’en est-il des fameuses croix? Un vampire pourrait-il se retrouver impuissant devant un symbole beaucoup plus jeune que lui?
Les possibilités de l’uchronie permettent de sonder des possibilités interresantes. Ainsi, dans l’excellent film «Perfect Creature», les vampires (nommés «Brothers») sont à la tête de ce qui ressemble fort à une église dont ils sont à la fois les dieux et les prêtres. La relation avec les humains en est une d’égalité apparente: le sang des vampires guérissant les maladies, ils le donnent aux humains et en retours, ceux-ci nourissent les Brothers. Bien entendue, l’équité de ce système est toute relative…
Le Cycle des Bergers
La série sur laquelle je travaille est entièrement basée sur une relation complexe entre les vampires et la religion. Les vampires y sont repoussés par les croix, le sol consacré les rend inconfortables au mieux et au pire les détruit. Malgré tout, une frange considérable de vampires se considère comme descendants directs du Christ. Leur relation avec les symboles religieux est trouble et caractérisée par l’hypocrisie. Pour se nourir, ils ne prennent que le sang des mortels — ou des autres vampires — qu’ils considèrent comme des pécheurs.
Les vampires ne réagissent pas tous avec la même violence aux symboles religieux. Le personages principal y est insensible, par exemple. En général, plus un vampire est ancien, plus il est sensible. Rodrigue, qui se considère lui-même comme un représentant des ténèbres dans la religion manichéenne, ne peut résider en sol consacré que grâce à des profanations répétées.
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