Magie, mystère et promesses non tenues
La littérature fantastique est la littérature de la magie. Par définition, elle est la littérature de l’impossible, du surnaturel, du magique. C’est probablement le plus ancien de tous les genres; il suffit pour cela que l’on accepte l’Épopée de Gilgamesh comme de la littérature fantastique.
Voilà donc qui est admis: la littérature fantastique admet la magie, des phénomènes qui n’existent pas dans la réalité, au (pour ménager les susceptibles) qui «dépassent les lois de la nature», quoi que cela veuille dire.
Il y a magie et magie
C’est à l’auteur de décider dans quelle proportion la magie intervient. Certains y vont plein pot: la magie devient si courante qu’elle affecte tout. On voit apparaître des écoles de magie, des magasins d’articles magiques, des élevages d’animaux magiques, etc. C’est la tendance urban fantasy, où le surnaturel devient si commun qu’un type n’a aucune chance de baiser l’héroïne s’il n’est pas au moins loup-garou. À l’autre extrémité, le fantastique peut-être réduit à un seul événement, très circonscrit. C’est le cas par exemple dans les histoires de Clive Barker. Une entité se réveille d’un long sommeil, et rien ne prouve qu’il y en ait d’autres. Un type manipule un cube qui ouvre la porte d’une sorte d’enfer sado-maso (surtout sado); cherchez bien le cube, parce que l’enfer ne s’ouvre pas pour rien. C’est le fantastique littéraire traditionnel.
Et puis il y a le mystère
Le mystère est aussi présent en littérature fantastique. Parfois essentiel, parfois accessoire, souvent négligé. Le mystère s’use facilement: fantôme, loup-garou, vampire, tout ça est magique, mais rien ne déclenche la surprise, l’émerveillement. Et c’est là que se produit parfois un dérapage dans l’utilisation de la magie.
Le mystère colle à la magie. Si la magie est expliquée, elle cesse d’être magique, elle entre dans le cadre rassurant de la banalité. La magie est donc toujours mystérieuse, sous peine de mort. Le mystère, par contre, se passe très bien de la magie.
Le lever du voile
Le mystère est en effet une des armes de prédilection de l’écrivain. Il vous plante une atmosphère du tonnerre, ses promesses tiennent le lecteur en haleine et, pour ne rien gâcher, il évite toutes sortes d’explications embarrassantes. Pour un moment, du moins.
Parce qu’il y a toujours un moment où le mystère doit être levé. Le plus près possible de la fin. Et là, vous avez intérêt à ne pas décevoir votre lecteur. Le mystère est une promesse.
Malheureusement, certains auteurs manquent à cette promesse, livrant une finale décevante. «C’était... un dédoublement de personnalité!» «C’était... un super rêve!» «C’était... une hallucination!» Ou une souris.
D’autres auteurs, peut-être anxieux de livrer la marchandise, donne trop d’explications. Effacent le mystère complètement. C’est compréhensible (nécessaire?) en policier, mais pas en fantastique. En fantastique on ne peut pas tout expliquer. Sinon on tue la magie. Et donc le fantastique. C’était le cas des romans de Ann Radcliffe par exemple, pleins de fantômes, d’apparitions, d’hallucinations et de terreurs, qui finissaient par s’expliquer par un mélange de complots et de coïncidences qui a la fâcheuse tendance de rester pris entre les dents. Surtout quand on les grince.
Que reste-t-il de la magie?
La tendance est d’expliquer la magie, le plus possible. Parfois ça tend vers la science-fiction. Ainsi, Stephen King abuse des entités extraterrestres, sans toutefois expliquer grand chose, heureusement. Vampires et loups-garous sont de plus en plus le résultat de virus.
Pourtant, un extraterrestre n’a aucune raison de lire dans les pensées. Rien ne permet de croire que ce soit possible, même en théorie. Même si un virus peut interférer avec le matériel génétique, il est impossible d’induire une mutation chez un être pluricellulaire adulte. Ici, la magie flirte avec la pseudo-science. Qu’a-t-on gagné au passage?
Parfois, on tomba dans la mécanique de la magie. On explique comment marche tel ou tel truc, généralement dans des scène dialoguées qui font penser au cinéma.
«Alors tu es un vampire?
— Techniquement, ouais. J’ai une une mutation à cause d’un virus vaguement sexy qui brille au soleil.
— Et tu bois du sang humain?
— Ben non tu vois, le sang humain donne une teinte rouge aux yeux, à cause des agents de conservation qu’ils n’arrêtent pas de bouffer. Nous, on ne mange que des prédateurs en voie d’extinction, parce qu’on est des gentils vampires, tu vois.
— Ça semble dangereux...
— T’inquiète, nous les vampires, on est vachement balaises.
— Vous pourriez pas boire sur des animaux moins dangereux?
— Ben non, parce que l’auteure elle aime pas les animaux qui mangent les petits lapins tout mignons.
— Quand même... Un élevage de vaches, peut-être?
— Ben, on se fait toujours piquer nos vaches par les loups-garous, parce que les loups-garous et les vampires s’aiment pas, à cause d’un truc. On a eu des chiens, pour surveiller les vaches, mais les loups-garous copulaient avec. Dégueux! C’est leur nature, mais c’est dégueux!
— Et vous pouvez le faire aussi?
— Copuler avec des chiens?
— Copuler tout court, idiot. Comme avec moi, tu pourrais?
— Ben non, pas avant le mariage. Je suis né le siècle dernier, quand même. Mes valeurs ont salement de retard.»
C’est souvent difficile à éviter. Confronté à l’inconnu, il existe un réflexe humain à tenter de l’expliquer, sinon de le circonscrire. Il existe différents moyens de l’écourter au minimum.
1. Plonger ses personnages dans une telle frénésie qu’il n’a pas le temps de poser des questions
«Putain! Qu’est-ce que c’est que ce truc qui nous poursuit?
— Sais pas. pas eu le temps de demander.
— Où est Bella?
— À plein d’endroits à la fois, je pense.»
2. La créature n’a aucune envie de s’expliquer
«Mais qui es-tu, être mystérieux?
— Meumumamémémemamémanmanmemememame!
— Pardon?
— Veux-tu arrêter de parler pendant que je te mange?
— Mais pourquoi me mangez-vous? Ça fait rudement mal!
— On mange tous ceux qui posent trop de questions.
— Comment?
— Monmanmemoumeumimomemomememion!»
Si l’histoire n’est pas racontée du point de vue d’une créature, il peut-être très judicieux que la créature en question veuille garder ses secrets.
3. Personne ne survivra
Dans le cas où le phénomène est menaçant, le but des protagonistes est sans doute d’éliminer la menace. Pour cela, elle doit invariablement comprendre ses faiblesses. C’est la cas classique de l’exposé de Van Helsing. Difficile de faire triompher les bons sans piétiner tout le mystère. Lovecraft conservait le mystère autour de ses grands anciens en tuant systématiquement tout le monde.
4. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout!
Romero en est à trois films de zombies et on n’a toujours pas la plus petite idée de ce qui les a ramené à la vie. Les films n’en sont pas plus mauvais.
Une histoire solide dépasse généralement l’opposition binaire bien/mal vivant/mort gentil/méchant blanc/noir. L’intérêt des films de Romero est ailleurs, dans l’étude de mœurs, dans la satire ou dans l’étripage en gros plan (et en plan américain aussi).
5. Est-ce que je le sais, moi?
Comme j’ai le malheur de travailler sur un urban fantasy plein à ras-bord de vampires, je suis confronté à ces difficultés tout le temps. Une bonne solution pour moi: les vampires n’ont aucune idée d’où ils viennent, exactement comme les humains. Pour tout expliquer, ils ont inventé une explication religieuse foireuse, comme les humains. Il y a bien eu des chercheurs qui ont tenté de percer leur mystères à un moment donné, mais les vampires les ont bouffés. Quand aux vampires qui expliquent leur nature à leur petite amie mortelle, ils les bouffent aussi, en particulier quand ce sont des minables pas fichus d’avoir une touche (ou de passer leur secondaire) en quatre-vingt-quatorze ans.
6. On dilue
La tendance est à écrire des séries à rallonge. Autant en profiter pour remettre l’explication du mystère au prochain tome, puis au suivant. En partie du moins.
Comment tenir la promesse?
On l’a vu, le mystère est une promesse. Bon, alors, comment tient-on cette promesse sans assassiner la magie?
À moins d’écrire du policier, les lecteurs ne veulent pas toute l’explication.
L’histoire est un voyage. Pour arriver à destination, il faut passer par un avion avec sa bouffe minable, son service de chiotte et ses genoux dans le front. Un tour d’autobus bondé et surchauffé avec le voisin qui écoute sa musique trop fort (et qui chante). Il faut être ankylosé, mal nourri, supporter le décalage horaire et payer es yeux de la tête. Les lecteurs veulent une destination qui vaille le désagrément. L’émerveillement, l’étrange, le beau, le fascinant, l’émotion pure, tout cela peut valoir le trajet. Décevez-les, et ils se souviendront du voyage comme d’un enfer. Surprenez-les, et ils se souviendront du trajet comme d’une randonnée pittoresque.
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