Forces et faiblesses des vampires 3 — Les métamorphoses du vampire


Ceci est le troisième d’une série de billets sur les forces et faiblesses des vampires.

Les autres billets portent sur les vampires et le soleil, et sur l’alimentation des vampires.

Si certains aspects des vampires sont passablement courants (crainte du soleil, soif de sang, force et vitesse prodigieuses) certains autres sont beaucoup moins fréquents. Les métamorphoses, par exemple, sont passablement inconsistantes, que ce soit dans le folklore ou la littérature.

Il convient, je crois, de diviser les métamorphoses en trois catégories. La première, et la plus courante, consiste en transformations relativement mineures, comme la pousse de crocs acérés. La deuxième serait la transformation en créature physique, comme un animal, typique de la littérature du 19ième, ou une forme hybride, particulièrement présente au cinéma. La troisième enfin, la plus rare, serait les transformations en objets, tangibles ou non, comme la fameuse transformation en brume.

Les métamorphoses des deux derniers types ont largement été évacuées de nos jours, pour diverses raisons, mais il est difficile de se débarrasser des métamorphoses mineures.

La métamorphose et ce qu’elle implique

En ce qui concerne les vampires, l’une des tendances les plus lourdes de la deuxième moitié du vingtième siècle a été de chercher une explication scientifique aux vampires, ce qui donne au cinéma de vastes scènes risibles ou des scientifiques observent des virus au microscope (pour ceux qui n’ont pas leur bio universitaire, c’est impossible).

Le virus est en effet la seule manière connue d’affecter le matériel génétique. Bien sûr, une altération du matériel génétique ne peut se produire qu’au stade pré-embryonnaire, et en aucun cas chez un individu adulte, mais cette subtilité est largement occultée par les auteurs. Ce qui est rarement occulté cependant, c’est la difficulté d’intégrer dans ce modèle «scientifisant» les métamorphoses les plus lourdes. Comment attribuer à un virus par exemple la transformation en brume ou simplement en chauve-souris, un animal des centaines de fois moins massif que l’humain?
Intégrer ces transformations implique donc de s’écarter de l’explication pseudo scientifique; celle-ci est pourtant reprise dans le mythe du loup-garou. C’est un choix que doit faire l’auteur d’entrée de jeu.

Notons que le jeu entre l’explication de type virus et l’autre, surnaturelle, peut être utilisé avec succès en littérature, comme dans «Dead Until Dark» de Charlaine Harris, où les vampirent expliquent leur «différence» à l’aide d’un virus pour se faire accepter des mortels, alors que Sookie se rend rapidement compte que la réalité est plutôt de l’autre côté, et que son petit ami est un authentique cadavre ambulant.

Les métamorphoses légères du vampire

Si les métamorphoses plus «lourdes» sont largement absentes de la littérature vampirique, les transformations légères au physique sont difficiles à écarter. Des caractéristiques comme les crocs aiguisés (souvent rétractables) ou une coloration différente des yeux et de la peau sont presque universelles. Elles surviennent à la naissance du vampire et sont souvent permanentes.

Le folklore et la littérature plus ancienne accordait une importance démesurée à certaines caractéristiques plus ou moins monstrueuses. Absence de poils sur les tempes, mais présence dans les paumes, doigts anormalement allongés, canines aiguisées, yeux injectés de sang, le vampire est reconnaissable au premier coup d’œil et si le héros n’y arrive pas, c’est parce que le vampire est un phénomène étranger.
Il n’est pas rare au cinéma de donner au vampire une forme alternative, presque démoniaque, au vampire, à des fins essentiellement artistiques (pour être gentil). Ainsi, le masque (ridicule) des vampires de la série Buffy, ou l’apparence repoussante de Dracula dans la dernière partie du film de Coppola. Les vampires particulièrement anciens ou puissants peuvent acquérir une telle apparence, comme dans Blade II ou comme le maître dans la première saison de Buffy.

Quelques histoires font totalement abstraction de ces métamorphoses, même les plus légères. Dans «The Hunger» de Tony Scott, les vampires n’ont pas de crocs, leur apparence est tout à fait normale et ils sortent au soleil sans la moindre difficulté. Ils boivent du sang, vivent éternellement, ont une force surhumaine et exercent un terrible pouvoir de fascination, même à distance, ce qui les identifie sans nul doute aux vampires, même si le mot n’est jamais prononcé dans le film. Dans «La Morte amoureuse» de Théophile Gautier, Clarimonde est d’apparence tout à fait humaine, quoi que d’une beauté oppressante. Elle se nourrit en perçant le cou de son amant à l’aide d’une aiguille.

Le vampire transformé en animal

Je n’ai jamais constaté de référence à la transformation en animal dans le folklore, mais ces métamorphoses sont très courantes en littérature. Ainsi, Dracula se transforme en loup ou en chauve-souris, animaux qu’il peut aussi commander. Dans «La Ville vampire», Paul Féval décrit un vampire qui peut se transformer en monstrueuse araignée. D’ailleurs l’araignée, qui se nourrit des fluides de ses proies, sera parfois associée au vampire par la suite.

Je crois que l’association des vampires avec les métamorphoses animales s’est faite tout naturellement par association à d’autres mythes. Si les vampires sont un mythe très récent (les références les plus anciennes se retrouvent au 17ième siècle), les métamorphes de toutes sortes, loups-garous en tête, sont présents dans toutes les cultures depuis l’aube des temps. La transformation d’un homme en animal est un sujet fascinant. Les vampires, sujet d’une mode littéraire qui a donné des milliers de récits en plus de deux siècles, ont été sujets à toutes sortes d’expériences, d’ajouts et de modifications, phénomène qui dure encore à ce jour. Certaines de ces expériences restent et deviennent des normes, parce qu’elles trouvent une résonance particulière dans le public ou chez les auteurs. La métamorphose en animal est l’une d’elle.
Le loup est une forme intéressante. D’abord effrayante, elle est aujourd’hui associée à la liberté et à la force. Quand à la chauve-souris, elle donne accès aux lieux escarpés. Grâce à cette forme, le vampire peut se glisser par la fenêtre de sa victime, ou encore s’échapper de manière spectaculaire.

Comme je l’ai dit plus haut, je crois que l’explication virale a fait beaucoup pour éliminer la métamorphose du paysage. D’autre part, le vampire est souvent mis en contradiction avec le loup-garou; une forme commune aurait pour effet de confondre deux camps qui doivent rester séparés. C’est une explication qui vaut ce qu’elle vaut. Plusieurs n’ont pas hésité à associer au vampire la même faiblesse à l’argent que celle qui est généralement l’apanage du loup-garou.

Les transformation lourdes du vampire

Les vampires qui se transforment en brume n’ont plus la cote. Inquiétante et franchement surnaturelle, cette métamorphose retire le vampire du camp des personnages exploitables de plusieurs manières.

Premièrement, elle accorde au vampire une sorte de carte sortie de prison automatique. À la moindre menace, le vampire n’a plus qu’à se transformer en brume pour échapper à tout péril. Il faut alors recourir à l’arsenal lourd des faiblesses traditionnelles: cercueil, sang de vierge, etc.

Deuxièmement, elle est incompréhensible. Si elle a pu se révéler inquiétante pendant un moment, la forme de brume a perdu son petit effet. Dans un contexte où le récit de vampire a évolué et où on cherche de plus en plus à tout expliquer, elle devient une sorte de poids mort.

Le cycle des Bergers et la métamorphose

Le roman que je révise actuellement appartient au genre très en vogue de l’urban fantasy, un type d’univers ou le surnaturel est courant et plus ou moins accepté comme normal, du moins pour les protagonistes principaux. Dans ce genre, les lois qui décrivent les différentes «races» en présences se doivent d’être précises.
J’ai décidé d’opter à fond pour la thèse de la métamorphose animale. Tous les vampires de cet univers ont un double animal, dont ils peuvent éventuellement prendre la forme, et tout ou en partie. Les transformations partielles, comme des yeux mieux adaptés à l’obscurité ou les crocs habituels, sont assez facilement accessibles (ce qui me permet de mettre de côté les crocs rétractables, que je n’ai jamais pu digérer).

La transformation complète en animal est moins fréquente, réservée aux vampires plus anciens, qui ont passé un temps considérable à comprendre leur intériorité. Samuel, le soldat de la première guerre mondiale, se transforme ainsi en loup, alors que Nyoto, sorcier Africain, prend la forme d’une panthère noire. Si Myriam a pour double la hyène, elle ne peut pas encore en prendre la forme, mais elle peut accéder sans mal à sa puissante mâchoire et à son excellente vision nocturne. Le prince Rodrigue, vampire millénaire, a comme double l’aigle impérial; il ne pourra donc bénéficier des crocs traditionnels. Ses pouvoirs mystérieux, ceux de la secte hérétique des manichéens, l’autorisent à prendre des formes uniques, comme une ombre vivante, invulnérable sauf aux flammes.
Au delà des questions mécaniques, c’est l’aspect psychologique que je cherche à étudier avec ces diverses métamorphoses. Le double animal n’est pas simplement un paquet de pouvoirs gratuits livrés en vrac; il a un effet profond sur la psychologie du personnage. Son intrusion brutale lorsque l’individu devient vampire contribue à le séparer drastiquement des mortels. Le double est presque toujours un prédateur. L’instinct de chasse devient donc immédiatement une composante du personnage, et les humains ne sont plus des congénères. Par ailleurs, l’ancien double est presque toujours détruit, écartant d’autant le personnage de sa condition de mortel. Le personnage principal, Michel Grandbois, réussit grâce à diverses précaution une fusion de son ancien et de son nouveau doubles. Son intégration à la société des vampires, le Peuple des Bergers, en est d’autant plus difficile.

Les aspects sociaux de la métamorphoses y sont aussi bien présents. Une Inquisition moderne, force devenue prépondérante chez les vampires, associe toute métamorphose au démon. Les pouvoirs les plus naturels des vampires deviennent donc tabous. Chaque personnage vit à sa manière cette interdiction contre-nature.

Les métamorphoses plus complètes, comme la forme d’ombre du prince Rodrigue, sont obtenues de manière occulte, et sont extrêmement rares. Le mystérieux antagoniste, qui sera connu dans le premier tome uniquement sous le terme de «Maître», y prend la forme qu’il désire; celle d’un humain, de son interlocuteur ou d’un simple reflet.

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