Que faire ou ne pas s’en faire
Les écrivains débutants se cognent souvent le pieds sur celui-là.
La littérature est malade. Elle étouffe. Elle va bientôt mourir. Il en a toujours été ainsi, d’ailleurs. Les prophètes de malheur finiront bien par avoir raison. Mais sa maladie la plus grave est (sans la moindre contestation possible, sinon je ne vous aime plus) la chasse aux mauvais mots. C’est une chasse injuste qui conduit à des extrémités malheureuses.
Faire l’impasse sur le verbe «faire»
«Faire» est un verbe imprécis, passe-partout, ce genre de truc qui ne veux rien dire, de généralité insipide. Son suremploi peut révéler un manque cruel de vocabulaire. Dix-huit cas sur vingt (peut-être dix-neuf) il peut être remplacé par un verbe plus précis et généralement plus élégant. Soit. La cause est entendue, le verdict en rendu, le verbe «faire» est coupable. Où est le problème?
Dans la sentence, je crois bien. Je ne suis pas pour la peine de mort, et c’est encore plus vrai pour les mots.
Un jour, j’ai eu le rare privilège de recevoir un manuscrit refusé, avec les annotations du comité de lecture. Toutes les apparitions du verbe «faire» étaient soulignées comme autant d’erreurs. Même quand le mot n’apparaissait qu’une fois dans la page. Et même, et c’est plus grave, quand il faisait partie d’une locution. J’ai été un peu intrigué. J’ai ensuite appris que le terme «faire» était mal considéré, pour les raisons données plus haut. Soit. Logique. Sauf dans le cas des locutions. Excusez-moi, mais on ne peut pas rayer du vocabulaire toutes les locutions françaises qui contiennent le verbe «faire». Si?
Que faire des locutions?
Depuis, j’ai été contaminé par la maladie du «faire». Je me suis joint, à mon corps défendant, à la grande chasse aux sorcières. Je rejette le mot jusque dans mes conversations. Je sursaute quand je l’entends à la télé, comme si c’était un anglicisme («faire du sens» en est un énorme, ceci dit). Il y a un truc qui me fait encore plus tiquer.
J’ai lu quelques premiers romans. Ils souffrent souvent d’une terrible maladie: l’allergie au «faire», une forme aiguë de paranoïa qui massacre un texte. L’auteur, apprenant qu’il a employé un gros mot comme «faire» s’emploie à le supprimer. Généralement, il le remplace par «effectuer». Le personnage effectue ses courses, effectue un choix, effectue l’amour… C’en est ridicule.
On n’effectue pas l’amour, ni le ménage, ni des affaires, parfois le tri, mais c’est bizarre. Une locution est une locution, merde! Ce n’est pas imprécis, c’est une manière de communiquer, c’est comme un mot, mais en plusieurs.
Parlons-en «d’effectuer»
D’ailleurs, en quoi utiliser «effectuer» au lieu de «faire» est-il préférable? C’est tout aussi imprécis, fourre-tout, passe-partout et vague que «faire». Une fois de temps en temps, c’est le mot juste.
Par exemple, j’ai lu un jour un triste roman de sorcières (que je ne nommerai pas). C’est un cas classique de «excusez-moi, je ne savais pas que “faire” était un gros mot; je vais ef-fec-tuer un chercher-remplacer avec “effectuer” tout de suite».
Nous voici avec cinq «effectuer» par page. Alors on effectue un choix, on effectue un virage, on effectue la vaisselle…
Pourquoi ne pas choisir, virer ou laver? L’idée est d’être concis et précis, pas d’effacer les «faire» pour le remplacer par un synonyme avec plus de syllabes.
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