Typographie mise en page et édition : ajourd'hui je pète ma coche
Je dois arrêter d'aller dans les salons du livre. On y fait toujours de mauvaises rencontres.
Il y a deux types de maisons d’éditions dans un salon du livre. Les grosses bien établies, et les petites. Les grosses se fichent de vous. Ils ont loué leur espace et compte sur leurs vedettes pour vendre; ils ne vont pas se salir les mains à toucher leurs clients, ceux-là même qui les engraissent en achetant leurs livres hors de prix. Ce sont le petites qui sont dangereuses. Celles gardées par les auteurs eux-mêmes, du matin au soir, ou par l'éditeur-monteur-illustrateur-distributeur-correcteur-d'épreuves. Ceux là vous assaillent, vous collent dans les mains leur bébé braillard, qu'ils aiment de toutes leurs forces, et qu'il vendent aussi cher que les rejetons médiatisés des grosses maisons (ce qui veut dire qu'ils sont sans doute aussi bon, non?)
Et moi, bien sûr, je me mets à leur place. J'anticipe déjà le moment où je devrai cogner à leur porte, recourir à leurs services, eux qui osent donner une chance aux nouveaux comme moi, que les grosses maisons établies boudent dans leur soif de certitude et d’auteurs à la mode. Alors j’ouvre le livre. Là, souvent, je grimace. La typographie est si mauvaise qu’elle en fait mal aux yeux.
Il arrive même que la grimace arrive avant l’ouverture, d’ailleurs.
«C’est une maison d’édition consacrée uniquement à Machin-Chose. C’est un criminologue qui écrit des romans policiers scientifiques. Ce sont les meilleurs livres de la terre.»
Si «Machin-Chose» est un titre fictif, le «meilleur écrivain de la terre» est rigoureusement authentique.
Mais voilà, Machin-Chose-le-meilleur-écrivain-de-la-terre est assez mal tombé pour la mise en forme de son livre. Le titre est en arial gras tout-écrasé, comme sur une affiche de chien perdu (et probablement écrasé aussi, mais c’est une autre histoire). Le maquettiste (que je soupçonne avoir juste en face de moi) voulait avoir des lettres assez hautes, mais il ne s’est pas donné la peine de trouver une fonte condensée. Ce qui donne quelque chose du style :
«C'est vous qui faites la mise-en-page? demande-je.
— Be sûr.»
Et me voilà qui lui explique qu’il ne faut pas déformer une police de caractère comme ça, ça se fait pas, c’est pas professionnel et que (cerise sur le sundae) en tant que graphiste, je n’achèterais jamais un livre ainsi monté.
Je vois bien que je lui ai fait mal, mais il semble tout de même intéressé à entendre mes opinions, sans doute parce que cela expliquait en partie la raison pour laquelle il n’avait pas vendu un livre de la journée. Alors j'’ouvre le livre, cherchant d’autres erreurs (ma générosité est sans borne).
«Ben juste là, vous voyez, c’est un faux italique.» Là. je viens de lui apprendre que les faux italiques existent. «Ça saute aux yeux: les caractères ont été penché de force, au lieu d’être remplacé par le véritable italique. Les «a» en particulier sont caractéristiques.
— C’est parce que en garamonede (accent anglais pour dire «garamond, ndr), l’italique est super laid.»
Je tiens ici à souligner que je ne l’ai pas frappé avec la table. Il m’a fallu une certaine maitrise.
Je n’ai pas acheté le livre. Je me disais que, puisqu’ils étaient écrits pas Machin-Chose, ils deviendraient sans doute un succès. Je me disais surtout que j’avais déjà vu des livres montés avec les pieds, et ils étaient invariablement écrits avec les pieds aussi. Après tout, si un éditeur n’apporte aucun soin à la présentation des œuvres qu’il vend, pourquoi accorderait-il de l’importance à la langue, au style, à la structure de narration? Ils vivent dans une sorte d’illusion du pouvoir de l’inspiration, sans doute. Reste que j’ai gaspillé assez d’argent à lire leurs merdes.
Ce n’est pas si mal quand les énormités sont commises par des pauvres bougres sans moyens, et donc sans risque de contagion. Force est d’admettre que des titres beaucoup plus vendeurs assassinent régulièrement la typographie. Là encore, les grosses maisons font leur boulot correctement, avec des livres à la typographie irréprochable. Mais quelques unes, portées par le succès étrange d’une quelconque série complètement imbuvable, finissent abondamment distribuées, jusqu’à ramper sur les étals des pharmacies. Je ne donnerai pas de nom, le milieu est petit, mais avisons le cas du double emploi de l’alinéa.
Au cas improbable où un des scabs qui montent ces livres passeraient par ici, un alinéa sert à marquer un changement de paragraphe. Ceci afin de faciliter la lecture. Il peut arriver que, à la place d’un alinéa, on laisse un peu plus d’espace avant un paragraphe (et, notez bien, jamais un saut de ligne complet, qui cause l’apparition d’un blanc disgracieux). Jamais on n’utilise les deux méthodes. C’est l’une ou l’autre. De manière générale, en littérature, on emploie l’alinéa, pour deux raisons bien simples. Premièrement, cela sauve du papier. Deuxièmement, les livres contiennent bien souvent des dialogues, ce qui signifie une série de courts paragraphes. Dans ce cas de figure, la page deviens une série de petits blocs gris saccadés, et le lecteur peut parfois tourner huit ou neuf pages avant que le héros aie terminé de dire à sa belle qu'il parviendra à repousser les repoussant Repouss (sorte d’orcs-lézards, plus gros et plus laids que les hommes lézards du premier tome) et qu’il l’aime depuis la première fois qu’il l’a aperçue, et plus encore maintenant qu’elle est la mère de leur enfant (désolé si je vous ai vendu un punch).
Donc bref, on ne laisse jamais d’espace entre les paragraphes d’un texte littéraire, a fortiori une ligne entière. Pas parce que c’est une faute, mais pour des raisons pratiques. Ce qui est une faute, c’est de laisser à la fois un alinéa et un espace avant le paragraphe. Ouvrez n’importe quel ouvrage chez vous, vous verrez qu’ils sont montés avec un alinéa seulement. Les publications employant les deux moyens sont très rares (à part une certaine maison de matantes, je ne l’ai vu qu’une fois, dans un journal culturel à petit tirage qui n’a pas fait long feu).
Pour illustrer mon propos, voici une exemple concret:
Ça peut sembler pas si mal, mais maintenant, comparons avec cette page de la biographie d’un certain premier ministre, qui elle a été publiée par une vraie maison d’édition:
Même format, même fonte, mais la mise en page est tout de suite plus régulière. À vrai dire, la copie du haut ressemble à un manuscrit. Ceci explique peut-être cela : ces petites maisons publient peut-être sans lire.
Ceci dit, je vous ai menti. Il m’arrive encore d’avoir la faiblesse d’acheter des livres à la typographie douteuse, moitié pour encourager les jeunes, moitié pour découvrir de nouvelles maisons d’éditions. Au dernier salon du livre, moi et ma copine avons chacun pris ainsi un livre qui, curieusement, respectait les alinéa, mais pas dans les dialogues. Les tirets marquant les répliques étaient rigoureusement collés à la marge, ce qui en rendait la lecture difficile. Je fus le plus chanceux, mon roman étant simplement insipide et parfois un peu trop didactique, certaines répliques servant uniquement à montrer que l’auteure avait demandé des traductions à des amis parlant arabe ou espagnol. Ma copine a pris une triste histoire de sorcières dont les cinquante premières pages étaient remplies de détails insignifiants répétés au moins trois fois et de réactions improbables de personnages unidimentionnels, soulignées à gros trait, comme pour nous les faire avaler de force. Comme quoi, quand la typographie fait défaut à un livre, elle n’est jamais seule.
Il y a deux types de maisons d’éditions dans un salon du livre. Les grosses bien établies, et les petites. Les grosses se fichent de vous. Ils ont loué leur espace et compte sur leurs vedettes pour vendre; ils ne vont pas se salir les mains à toucher leurs clients, ceux-là même qui les engraissent en achetant leurs livres hors de prix. Ce sont le petites qui sont dangereuses. Celles gardées par les auteurs eux-mêmes, du matin au soir, ou par l'éditeur-monteur-illustrateur-distributeur-correcteur-d'épreuves. Ceux là vous assaillent, vous collent dans les mains leur bébé braillard, qu'ils aiment de toutes leurs forces, et qu'il vendent aussi cher que les rejetons médiatisés des grosses maisons (ce qui veut dire qu'ils sont sans doute aussi bon, non?)
Et moi, bien sûr, je me mets à leur place. J'anticipe déjà le moment où je devrai cogner à leur porte, recourir à leurs services, eux qui osent donner une chance aux nouveaux comme moi, que les grosses maisons établies boudent dans leur soif de certitude et d’auteurs à la mode. Alors j’ouvre le livre. Là, souvent, je grimace. La typographie est si mauvaise qu’elle en fait mal aux yeux.
Il arrive même que la grimace arrive avant l’ouverture, d’ailleurs.
«C’est une maison d’édition consacrée uniquement à Machin-Chose. C’est un criminologue qui écrit des romans policiers scientifiques. Ce sont les meilleurs livres de la terre.»
Si «Machin-Chose» est un titre fictif, le «meilleur écrivain de la terre» est rigoureusement authentique.
Mais voilà, Machin-Chose-le-meilleur-écrivain-de-la-terre est assez mal tombé pour la mise en forme de son livre. Le titre est en arial gras tout-écrasé, comme sur une affiche de chien perdu (et probablement écrasé aussi, mais c’est une autre histoire). Le maquettiste (que je soupçonne avoir juste en face de moi) voulait avoir des lettres assez hautes, mais il ne s’est pas donné la peine de trouver une fonte condensée. Ce qui donne quelque chose du style :
«C'est vous qui faites la mise-en-page? demande-je.
— Be sûr.»
Et me voilà qui lui explique qu’il ne faut pas déformer une police de caractère comme ça, ça se fait pas, c’est pas professionnel et que (cerise sur le sundae) en tant que graphiste, je n’achèterais jamais un livre ainsi monté.
Je vois bien que je lui ai fait mal, mais il semble tout de même intéressé à entendre mes opinions, sans doute parce que cela expliquait en partie la raison pour laquelle il n’avait pas vendu un livre de la journée. Alors j'’ouvre le livre, cherchant d’autres erreurs (ma générosité est sans borne).
«Ben juste là, vous voyez, c’est un faux italique.» Là. je viens de lui apprendre que les faux italiques existent. «Ça saute aux yeux: les caractères ont été penché de force, au lieu d’être remplacé par le véritable italique. Les «a» en particulier sont caractéristiques.
— C’est parce que en garamonede (accent anglais pour dire «garamond, ndr), l’italique est super laid.»
Je tiens ici à souligner que je ne l’ai pas frappé avec la table. Il m’a fallu une certaine maitrise.
Je n’ai pas acheté le livre. Je me disais que, puisqu’ils étaient écrits pas Machin-Chose, ils deviendraient sans doute un succès. Je me disais surtout que j’avais déjà vu des livres montés avec les pieds, et ils étaient invariablement écrits avec les pieds aussi. Après tout, si un éditeur n’apporte aucun soin à la présentation des œuvres qu’il vend, pourquoi accorderait-il de l’importance à la langue, au style, à la structure de narration? Ils vivent dans une sorte d’illusion du pouvoir de l’inspiration, sans doute. Reste que j’ai gaspillé assez d’argent à lire leurs merdes.
Ce n’est pas si mal quand les énormités sont commises par des pauvres bougres sans moyens, et donc sans risque de contagion. Force est d’admettre que des titres beaucoup plus vendeurs assassinent régulièrement la typographie. Là encore, les grosses maisons font leur boulot correctement, avec des livres à la typographie irréprochable. Mais quelques unes, portées par le succès étrange d’une quelconque série complètement imbuvable, finissent abondamment distribuées, jusqu’à ramper sur les étals des pharmacies. Je ne donnerai pas de nom, le milieu est petit, mais avisons le cas du double emploi de l’alinéa.
Au cas improbable où un des scabs qui montent ces livres passeraient par ici, un alinéa sert à marquer un changement de paragraphe. Ceci afin de faciliter la lecture. Il peut arriver que, à la place d’un alinéa, on laisse un peu plus d’espace avant un paragraphe (et, notez bien, jamais un saut de ligne complet, qui cause l’apparition d’un blanc disgracieux). Jamais on n’utilise les deux méthodes. C’est l’une ou l’autre. De manière générale, en littérature, on emploie l’alinéa, pour deux raisons bien simples. Premièrement, cela sauve du papier. Deuxièmement, les livres contiennent bien souvent des dialogues, ce qui signifie une série de courts paragraphes. Dans ce cas de figure, la page deviens une série de petits blocs gris saccadés, et le lecteur peut parfois tourner huit ou neuf pages avant que le héros aie terminé de dire à sa belle qu'il parviendra à repousser les repoussant Repouss (sorte d’orcs-lézards, plus gros et plus laids que les hommes lézards du premier tome) et qu’il l’aime depuis la première fois qu’il l’a aperçue, et plus encore maintenant qu’elle est la mère de leur enfant (désolé si je vous ai vendu un punch).
Donc bref, on ne laisse jamais d’espace entre les paragraphes d’un texte littéraire, a fortiori une ligne entière. Pas parce que c’est une faute, mais pour des raisons pratiques. Ce qui est une faute, c’est de laisser à la fois un alinéa et un espace avant le paragraphe. Ouvrez n’importe quel ouvrage chez vous, vous verrez qu’ils sont montés avec un alinéa seulement. Les publications employant les deux moyens sont très rares (à part une certaine maison de matantes, je ne l’ai vu qu’une fois, dans un journal culturel à petit tirage qui n’a pas fait long feu).
Pour illustrer mon propos, voici une exemple concret:
Ça peut sembler pas si mal, mais maintenant, comparons avec cette page de la biographie d’un certain premier ministre, qui elle a été publiée par une vraie maison d’édition:
Même format, même fonte, mais la mise en page est tout de suite plus régulière. À vrai dire, la copie du haut ressemble à un manuscrit. Ceci explique peut-être cela : ces petites maisons publient peut-être sans lire.
Ceci dit, je vous ai menti. Il m’arrive encore d’avoir la faiblesse d’acheter des livres à la typographie douteuse, moitié pour encourager les jeunes, moitié pour découvrir de nouvelles maisons d’éditions. Au dernier salon du livre, moi et ma copine avons chacun pris ainsi un livre qui, curieusement, respectait les alinéa, mais pas dans les dialogues. Les tirets marquant les répliques étaient rigoureusement collés à la marge, ce qui en rendait la lecture difficile. Je fus le plus chanceux, mon roman étant simplement insipide et parfois un peu trop didactique, certaines répliques servant uniquement à montrer que l’auteure avait demandé des traductions à des amis parlant arabe ou espagnol. Ma copine a pris une triste histoire de sorcières dont les cinquante premières pages étaient remplies de détails insignifiants répétés au moins trois fois et de réactions improbables de personnages unidimentionnels, soulignées à gros trait, comme pour nous les faire avaler de force. Comme quoi, quand la typographie fait défaut à un livre, elle n’est jamais seule.
Commentaires
Merci de partager votre vue du domaine de l'édition. Très perspicace!
Merci de partager votre vue du domaine de l'édition. Très perspicace!