Livre numérique en français — quels sont les freins?

Bon, puisque je possède maintenant un Kobo, je peux de plein droit me déclarer expert en livres numériques. Les lecteurs francophones qui se partagent un bout d’écran gris sont mes frères. À moi de parler pour eux tous, et surtout sans attendre qu’ils me le demandent.

Alors que le livre numérique est en train de submerger les États-Unis (et probablement aussi le Canada anglais, parce qu’une frontière, ce n’est pas toujours grand chose), il tarde à être accepté par les lecteurs francophones. Deux malheureux pourcent, aux plus ou moins dernières nouvelles. Au point que certaines maisons d’éditions françaises, Gallimard en tête, proclament que le livre numérique est un non phénomène, curieusement publicisé au-delà de son importance.

Le DRM, cet ennemi

L’insuccès manifeste du livre numérique en français a pourtant toutes les allures d’un désastre (bientôt une crise) planifié par ses fossoyeurs. Les responsables? Des prix irréalistes d’abord (aussi chers ou presque que la version papier, alors que les titres à moins de cinq dollars abondent dans l’offre américaine). Les lecteurs paieraient plein pot pour un tas de pixels? Peu de chance. Surtout quand ces pixels sont pourris de DRM.

Parce que le voilà, le grand ennemi. Plus que le prix, selon moi, le DRM est un frein. Le DRM qui dit: vous achèterez notre livre, mais ne pensez pas en faire ce que vous voulez. Si vous l’achetez sur votre ordinateur, vous le lirez sur votre ordinateur, pas sur votre belle liseuse toute enuve achetée exprès, non de non! Ça serait de la copie. Pire! Du piratage.

Les éditeurs on très peur du piratage. Ils ont raison. C’est une plaie. Mais les DRM sont une arme imaginaire. Pour un pirate, elle se défonce en cinq minutes. Pour Gertrude la grosse lectrice, c’est un frein. Elle achète un livre, elle ne peux pas le lire. Que fera-t-elle? Retourner à ses habitudes en papier, voilà ce qu’elle fera.

Chers éditeurs, je vais vous dire ce qui est un frin au piratage : publiez des livres en français d’abord, les réseaux peer to peer les détestent. Il faut une masse critique, voyez-vous. Bon, ça ne protège pas de la copie privée, cet ignoble crime, mais pour ça, il y a une meilleure solution: publiez des livres insipides et sans intérêt. Bon, vous avez déjà tout bon sur les deux premiers points? Alors que craignez-vous?

Les majors on cru que le démon du piratage allait engloutir leurs précieux avoirs, jusqu’à ce qu’une offre raisonnable, abordable et accessible permette aux gens de payer ce qu’ils désiraient. Côté pirate, c’est les virus, la qualité de merde, la recherche et l’attente. Côté légal, c’est propre, rapide et ça sonne bien, pour la moitié du prix du cd. Ça marche du tonnerre. Ça marchera aussi pour le livre.

Au Japon, le piratage est une machine bien rôdée. Les livres numériques tardent à être accessibles à un public pourtant technologiquement éveillé et très équipé. Résultat, des gens prennent leurs précieux livres, coupent la tranche, les passent dans un scanner à haute efficacité avec reconnaissance de texte, produise le fichier électronique (qui semble si difficile et cher à produire quand les éditeurs en parlent) et distribuent le résultat boiteux pour pas un rond. Vous croyez qu’ils se donneraient tout ce mal si les livres étaient disponibles en belle version sans DRM à prix raisonnable?

Et justement, l’accessibilité

Le troisième gros frein, après le prix et les DRM, c’est l’accessibilité. Encore un truc impossible à comprendre quand on parle français, semble-t-il.

Les producteurs de liseuses sont tous des livraires, sans exception. Tous s’y sont mis. Apple a même lancé sa propre librairie avec l’iPad (c’est d’après moi l’unique raison du boum, car elle a amené une baisse rapide des prix des liseuses).

J’ouvre mon Kobo, et Indigo me balance sa camelotte au visage. Le principe n’est pas original, ils l’ont copié sur Amazon. Sony fait la même chose. Et Barnes & Nobles, qui sera peut-être sauvé de la faillite par son offre numérique uniquement. Essayez d’acheter d’un cucurrent pour voir… Ben non, ça marche pas. Ils vendent leur camelotte, et cette camelotte est en anglais. Vous voulez du français? Alors il faut y aller à la dure. Chercher sur votre ordi, télécharger, installer Calibre (parce que le logiciel fourni ne permetra pas le tansfert), transférer les livre un à un. Des livres gratuits. Pas des pirates parce qu’il n’y a pas d’offre pirate. Des libres de droits, ça il y en a. De masses. Et que du bon. Le domaine public, c’est le contraire de l’édition: la crème monte facilement à la surface. Hugo, Blazac, Daudet, Dumas, et puis tous les autres, ils sont tous là. Elle est là, votre concurrence, messieurs les éditeurs. Ils sont immortels, ils sont nombreux, ils sont beaux et vos lecteurs en raffolent. De votre côté, vous avez la qualité et la nouveauté. Vous l’avez mise sur votre site? Sur le site de la FNAC, de Archambault? Je ne l’achèterai pas.

Pas parce que c’est trop cher.

Parce que ces sites sont bourrés de DRM. Et qu’ils n’avertissent pas les pigeons qu’une fois leur livres achetés, ils seront incapables de les installer sur leurs liseuses, et que leur fichier de base est biodégradable.

L’achat impulsif est la clé

Une petite observation au passage: tous les grands marchés qui se sont ouverts dans le numérique avaient pour clé l’achat impulsif. Apple avec la musique, à 99¢ le morceau. Apple encore, avec les application iPhone, modèle reproduit avec succès sur le Mac AppStore. Et Amazon avec le livre à (encore une fois) 99¢.

Les deux mamelles de l’achat impulsif sont le prix réduit et l’accessibilité. Le client voit quelque chose. Il a sous les yeux tout ce qui peut influencer sa décision (essentiellement les notes des autres utilisateurs). Le prix est assez bas pour qu’il n’aie pas à repousser son achat à plus tard. Il veut, il peut, il achète.

Les éditeurs ont créé la crise

Une petite crise, à vrai dire, bien pantouflarde, confortable. Cessez de braire à propos des livres numériques, personne ne les achète!

Il finira bien par avoir quelqu’un, pourtant, qui comprendra. Ce sera un éditeur un peu moins obtus, ou un auteur autopublié. Et là, le vieux modèle s’écroulera.

Le cas de l’accessibilité est difficile à résoudre. Peu de libraires ont les moyens de se payer une liseuse maison. Mais les tablettes avec leurs applications permettront à court terme de contourner le problème. D’ici trois ou quatre ans, leurs prix auront rejoint ceux des liseuses.

En attendant, je retourne lire mes livres. Rien qu’avec Zola, j’ai amplement le temps d’attendre qu’un éditeur — ou un libraire — daigne me proposer d’acheter un livre.

Commentaires

AlexFG a dit…
Il y a pourtant des solutions bien simples déjà utilisées dans certains commerces pour réduire l'envie de piratage des livres électroniques.

DriveThruRPG, par exemple, inscrit à l'intérieur de chaque page le nom de l'achetant pour une copie personnalisée. Vraiment moins tentant de distribuer ces livres au peer-to-peer quand le livre est retraçable à l'acheteur...

Et puis, j'aime bien quand mes livres électroniques incluent mon nom personnel. C'est la seule chose qui fait que je sentew que mes livres électroniques sont vraiment bien, autant que les versions en papier.
Philippe Roy a dit…
C’est une solution en effet, et très préférable au DRM, mais c’est une solution de libraire, pas d’éditeur, et ce sont les éditeurs qui traînent de la patte ici. Je crois que Prologue (c'est un distributeur, donc intermédiaire entre le libraire et l’éditeur) propose une signature électronique invisible.

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