Story Engineering vaut-il son prix?


J’ai terminé de lire Story Engineering de Larry Brooks il y a quelques semaines. Alors, à seize dollars environ, vaut-il son prix? Est-ce que tout auteur se doit de se précipiter sur ce tome? Remplit-il ses ambitieuses promesses?

Des analogies, des analogies et encore des analogies

Si vous payez pour des analogies, vous en aurez largement pour votre argent. Il y a des analogies avec le pilotage d’avion, la construction de maisons, le baseball (et tous les sports en fait)...

Je n’ai aucun souci avec les analogies en général, quand elles servent à expliquer, faire comprendre une notion. L’ennui c’est qu’ici, l’analogie ne sert qu’à convaincre. Du bien fondé de construire un plan, par exemple. Ou de s’appuyer sur un modèle particulier de structure. Encore là, c’est très justifiable. Sauf que la première moitié du livre est composé de ces analogies fumeuses. Le lecteur paie un livre pour recevoir conseils et enseignements, et l’auteur passe plus de la moitié des pages à tenter de convaincre le lecteur de la valeur de ces conseils et enseignements. Fichtre! On a acheté le fichu bouquin, ce n’est plus le moment de nous assomer avec sa promo!

Les six compétences de base

Toute la promo du livre est basée sur la promesse de six compétences de base. Larry Brooks tâche de nous convaincre que ces compétences sont fondamentales et englobent toutes les autres. Il fait un bon boulot de ce point de vue, puisque je suis convaincu qu’il a raison. Au point que j’aurais bien aimé qu’il consacre plus de pages à les expliquer, plutôt qu’à me les vendre.

Ces compétences sont à peu près les mêmes que les quatre aspects d’une histoire selon le texte «Comment ne pas écrire des histoires» de Yves Meynard, sauf que Larry Brooks y ajoute le thème et la structure. Et ce contenu, après qu’on en a retiré les analogies et l’évangélisme, tient à peu près sur un timbre poste.

De la thématique, on ne saura pas grand chose, sinon qu’elle est fondamentale. Je veux bien l’admettre.

La construction des scènes est l’aspect le moins étoffé du livre. Chaque scène doit avoir une mission, et une seule. Voilà, j’ai tout dit.
Le concept. On apprendra que c’est une question qui commence par «et si...». Formidable.

La voix. Bon, quelques conseils pratiques ici. Je vous résume: pas trop en faire. Une voix ne doit pas distraire. Il faut résister à la tentation de faire du style. Il faut éviter d’abuser des adjectifs. Voilà, vous savez tout.
Les personnages sont l’aspect le plus intéressant du livre selon moi. Il dit que les personnages ont trois composante: la première est la superficielle, ce que le monde perçois des personnages; la deuxième est intérieure, la manière dont le personnage se perçoit lui-même; enfin, la troisième complète le «character arc», la manière dont le personnage se comporte quand ça compte vraiment. On apprendra qu’il ne faut pas développer une telle profondeur pour tous les personnages (eg le livreur de pizza), mais seulement les principaux. Le personnage principal a des démons intérieurs, qu’il devra surmonter pour atteindre ses objectifs.
Et la structure.

La maudite structure

Un bon quart du bouquin passe sur la structure de l’histoire. Larry Brooks en propose une seule, et passe les trois quarts de la section à expliquer que c’est la seule. Pas la seule valable, mais la seule tout court. Et de donner des exemples.
Sa structure est éprouvée, c’est vrai. Et elle est connue, c’est la recette de Syd Field. Aucun besoin d’acheter le livre.

L’erreur de Brooks est de la coller à tous les succès littéraires jamais écrits. Il donne de nombreux exemples, mais ils sont tous tirés de films Américains (ou de livres adaptés, par un curieux hasard), et les studios suivent la recette comme un dogme.

Je veux bien partager l’avis de l’auteur sur l’importance de la structure et clamer avec lui que travailler à un plan avant l’histoire, limiter la structure au plan de Syd Field (sans même avoir la décence de le nommer) est réducteur. La plupart des romans que j’ai lus (les romans québécois ou français) ne suivent pas cette recette. Memento ne suit pas ce modèle, ni Des Nouvelles du Bon Dieu, ni La Cité des enfants perdus.

Et il y a un piège avec cette vérité assénée sans nuance. Le piège de la voie royale: on a un concept, on le colle à une structure pré-fabriquée, on épice avec un personnage qui suit son arc habituel et hop! on a une histoire. Ça donne des films à concept dont la trame mince laisse dépasser les rouages grossiers et que les amateurs de films de genre se farcissent à cœur de semaines. Ça donne le triste Repo, version commerciale du jubillatoire Repo! The Genetic opera. Ça donne Salt, aux rebondissements platement prévisibles. Ou les Skulls. Ça donne les films à la première partie platte, le deuxième quart en courses poursuites, le retournement de situation en plein milieu, le «tout est perdu» environ aux trois quarts et la finale heureuse habituelle. Testez avec un chronomètre, la prochaine fois que vous trouverez un film ennuyeux.

Alors, Story Engineering, un gaspillage d’argent?

Notez, c’est une structure qui a son utilité. Le roman que j’écris colle tout droit à cette esthétique, et ma lecture de Story Engineering m’a permis de redresser le manuscrit d’heureuse manière. C’est ce qui fait que je ne regrette pas mes seize dollars. C’est ce qui fait aussi que, sachant ce que je sais maintenant, je ne dépenserais pas cet argent maintenant.

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