Vampires, morts ou vifs

On ne s’entend plus sur grand chose maintenant, en ce qui concerne les vampires. Même à savoir s’ils sont morts ou vivants.

À l’origine, les choses étaient claires: le vampire était par définition un mort-vivant qui sortait de sa tombe pour se nourrir du sang des vivants.

Les choses deviennent plus compliquées maintenant. Certains veulent que leurs vampires soient vivants. J’avoue que j’ignore pourquoi. Un vampire vivant me semble aussi saugrenu qu’un fantôme vivant.

Les deux séries de bitlit de l’heure, Twilight et Sookie Stackhouse, illustrent bien ces deux tendances. Twilight, où presque tout est décidément bonbon, refuse que ses vampires scintillants soient des morts-vivants. «Je n’ai pas l’impression d’être mort. Toi?» Pour Sookie, l’idée que son amoureux soit un cadavre animé est assez troublante, et on la comprend. Les vampires ont soin de se présenter comme des êtres vivants, accusant un virus que personne n’a jamais vu, mais la découverte de la magie, à travers les métamorphoses de son patron Sam, convainc Sookie que ce n’est qu’un écran de fumée. Les titres de la série, qui comportent tous le mot «dead», insistent joliment sur ce fait.

Vampire vivant

J’ai déjà dit que l’idée d’un vampire vivant me semble étrange, et même un peu sacrilège. Pourtant, certaines de mes histoires préférées posent franchement l’idée d’un vampire vivant. Il est alors de deux sortes: le vampire peut être un mutant, généralement à cause d’une saloperie de virus (heureusement assez difficile à attraper), soit détenir ses pouvoirs de manière héréditaire. Certaines adaptations, comme la série des Blades (je n’ai jamais lu la bd) refusent de trancher et acceptent les deux.

Ce qui compte, c’est que ce soit morbide

Dans Lost Souls par exemple, les vampires sont tous nés comme ça, comme dirait Lady Gaga. L’accouchement est pour le moins difficile: qu’elle soit ou non mortelle, accoucher d’un vampire tue toujours la mère. Il n’est pas dit si certains ont tenté la césarienne. Si les vampires peuvent vivre éternellement en principes (en réalité, les plus anciens sont assez jeunes, quelques siècles tout au plus), ils peuvent être tués simplement, par balle par exemple, à condition de s’acharner un peu (les vampires ont quand même la couenne assez dure).

Dans d’autres cas, les vampires sont soit le résultat d’une mutation, soit carrément du génie génétique, comme dans Perfect Creature ou I am Legend. Ces vampires sont vivants, et peuvent se reproduire ou non. L’union entre un vampire et un mortel peut donner un hybride.

Si Perfect Creature était particulièrement réussi, d’autres tentatives dans cette voie sont des ratages complets. Dans l’exécrable (mais très drôle) Reign In Darkness, l’avertissement comme quoi le virus présenté pourrait réellement exister plante au commencement le ridicule dans lequel le film va s’empêtrer tout le long. Je ne me souviens plus exactement de ce qui fait briller les vampirets de Twilight, mais je crois bien que c’est aussi un virus.

Qu’est-ce qui fait que je puisse accepter une hypothèse dans une œuvre et qu’elle me gâche mon plaisir dans l’autre? Le côté malsain. Il est nécessaire, plus vital pour le vampire que le sang.

Dans Lost Souls, l’idée que les vampires naissent ainsi, qu’ils grandissent et croissent comme les autres, n’est pas prévue pour adoucir les trait de gentils vampirounets. C’est glauque (très), c’est effrayant et ça fait mal. Le roman présente d’ailleurs la prime jeunesse d’un vampire élevé comme un humain, avec les problèmes d’intégration qui en découlent. L’amour d’une mortelle pour les vampires est destructeur, quelle que soit son innocence. La morale devient une affaire grave, sérieuse, un choix personnel, pas un truc collé par défaut par une auteure molasse.

De même, Perfect Creature expose directement les conséquences d’avoir des vampires créés génétiquement. Créés par des humains, ils n’ont aucune raison de de cacher. Ils sont plus forts que les humains, plus sages parce que plus expérimentés, et leurs veines recèlent la guérison de toute maladie (et, comme par hasard, la maladie est justement omniprésente dans ce monde). Il est juste qu’ils règnent, il est impensable qu’il en soit autrement. Aussi ils règnent, tête d’un véritable culte, imposant leur loi en tant que membres d’une race incontestablement supérieure, tout en se prétendant égaux. C’est comme si les conservateurs étaient capables de tenir leurs promesses. Ceux qui se posent trop de questions ont tendance à disparaître, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la barrière.

Croissance et vie en société pour petit vampire

Je l’ai dit, la vie d’un jeune vampire au sein de la société humaine, alors qu’il ignore tout de sa propre nature ou même de l’existence de sa propre race, est un des thèmes de Lost Souls.

Les études de ce genre sont assez rares. Quand un auteur opte pour l’idée d’un vampire vivant, c’est généralement pour atténuer leur côté dérangeant. C’est regrettable. On traverse une bien triste frontière quand un dentiste fait plus peur qu’un vampire. La conséquence de cette fuite, c’est que toute une dimension du personnage est évacuée: sa position dans le monde et son image de lui-même.

Le vampire mort

J’ai subi un violent accident de voiture, encore tout jeune. Je n’étais pas encore remis de ma première peine d’amour, quand je me suis fait rentrer dans le côté par une mini-fourgonnette, à grande vitesse, sur chaussée glacée. L’impact a eu lieu trente centimètres derrière moi. Ma voiture était pliée en deux, la marque des pneu s’est imprimée dans le banc de neige. Je m’en suis tiré avec deux coupures et un solide coup sur la tête (même pas de commotion).

Dans l’ambulance, je me suis souvenu avoir ressenti un immense bien être. Tous mes soucis s’étaient évaporés. J’étais en vie (et entier), donc le reste était devenu secondaire. Mes notes, la voiture, ma salope d’ex. Et j’ai eu cette réflexion: depuis nos ancêtres unicellulaires, tous les êtres ont partagé une farouche volonté de vivre. Ceux qui ne l’ont pas fait se sont laissé mourir. La volonté de vivre est essentielle à la survie, c’est la première, la plus fondamentale des conditions. Elle a été favorisée par la sélection naturelle à travers des milliards de générations, depuis le tout début. Ce désir de vivre nous a donné la médecine, les religions et les vampires.

Mon intérêt relatif pour les vampires date d’après mon accident (quoique…) et c’est peut-être pour cela que j’ai tout de suite associé le mythe du vampire à un désir de survie plus fort que la mort. Un désir de vivre exacerbé est donc une caractéristique d’à peu près tous mes personnages vampiriques.

Plusieurs adaptations mettent l’emphase sur tout les pouvoirs cools que les vampires gagnent à la transformation, sans trop se concentrer sur la simple idée que le vampire a, peut-être définitivement, connu et transcendé la mort. L’expérience en soit me semble pourtant traumatisante à l’extrême, plus encore que celui, fondamental, de l’accouchement.

Cette idée de la mort semble aussi effrayer les auteurs. Premièrement, il y a un tas de trucs cools que les morts ne peuvent pas faire. Imaginez si Selene, dans Underworld, était morte? Pas de petite fille, donc pas de quatrième film (un bon point pour les vampires morts). Les vampires morts ne peuvent fonder une famille, donc à quoi bon vivre en couple? (selon les puritains États-Uniens, dont certaines écrivent, avec un succès phénoménal, des histoires de vampires). Ensuite, un mort ne peux pas vraiment manger (logiquement), fumer, boire et se droguer, bref toutes ces choses que l’auteur veux vivre par procuration et qui sont sa raison d’écrire au premier chef.

Les auteurs ne sont pas tous aussi mièvres, et certains ont exploré les conséquences probables de la mort, chez un être vivant.

Retard de croissance

Que serait Interview with the Vampire sans son adorable petite Claudia? Le problème de l’esprit d’un adulte dans le corps d’un enfant a été exploré ailleurs. Le personnage principal de Vampire Junction est dans ce cas aussi, et je me souviens d’un personnage particulièrement vicieux du film Near Dark de Kathryn Bigelow. bien sûr le vampire de Let the Right One In est un enfant deneuf ans «depuis longtemps», comme dans le remake (que je refuse toujours de voir). Tous ces personnages vivent différemment leur conditions, et je crois bien que ces études psychologiques pourraient s’étendre à l’infini.

Par exemple, comment vit un garçon de quinze ans en apparence, né au moyen âge? À son époque, il était un homme en âge de porter les armes, et aujourd’hui il n’aurait pas le droit d’acheter des cigarettes. Un garçon mordu à la fin du secondaire doit-il sans arrêt redoubler l’école? Pire: alors qu’il a la maturité d’un vieillard de quatre-vingt-dix ans, devra-t-il ne connaître l’amour que de gourdasses à peine pubères? Imaginez l’enfer!

Notre apparence définit en grande partie notre rôle dans la société. Quand un passant tente du vous accoster, il est probable que vous déciderez de l’écouter ou non, selon son apparence. Comment peut réagir un vampire coincé avec une apparence d’enfant? La frustration est presque inévitable.

L’appétit vient en buvant

La mort est peu de choses: l’arrêt d’un ensemble de processus chimiques si improbable qu’il est peut-être bien unique dans un univers à peu près infini. Un retour normal des choses. Pour nous, simple mousse à la surface d’un énorme rocher humide, c’est la frontière ultime, la fin de toute signification, un ennemi que nous rêvons de vaincre mais qui nous vainc pourtant, à tous les coups. Reste que même à notre échelle, la mort est la fin d’une suite de mécanismes physiologiques.

Le mort n’a plus besoin de respirer (ce qui lui permet entre autres de dormir sous la terre) de manger ou (tremblez mortels) de baiser. Il n’est pas farfelu de penser que ces appétits disparaissent en même temps que la vie, d’autant que le vampire gagne dès le début tout un tas de nouveaux réflexes, et un nouvel appétit: une soif de sang à peu près irrésistible. Il craint généralement le feu et le soleil, ses nouveaux ennemis, ou tous les autres fléaux que son auteur aura voulu lui coller.

Le sexe avec un cadavre

Je soupçonne que le sexe, en particulier, laisse les auteurs perplexes. Si au départ le vampire est totalement asexué, le puritanisme victorien, puis la censure, aidant, les auteurs ne peuvent décidément plus se passer des très vendeuses scènes de sexe et (je le soupçonne) d’un fort besoin de compensation. Si l’idée de la mort effraie déjà, imaginer une autre forme d’intimité et de plaisir que le bon vieux rapport sexuel mutuellement consenti (et généralement dans la position du missionnaire) est un mur insurmontable. Même les vampiresses de deux mille ans récemment entrées dans la police pour combattre les méchants n’y échappent pas. Heureusement, il y a des exceptions notables et salutaires. Par exemple, Jimmy Novak dans L’Ange écarlate de Natasha Beaulieu adopte sans hésiter l’ingestion de sang dans ses pratiques sexuelles, même quand il s’agit d’autoérotisme. Qu’il ne s’agisse pas d’un vampire au sens classique (et certainement pas d’un mort) n’enlève aucun mérite à l’expérience.
Les Chroniques des Vampires est certainement la série qui est allé le plus loin dans l’érotisme suggéré, tout en mettant en scène des vampires férocement assexués (mais paradoxalement bisexuels). Avec un peu d’imagination, un auteur peut tout de même s’en sortir.

Charlaine Harris, quand à elle, n’hésite pas une seconde à accorder à ses vampires tout le sexe qu’ils désirent, et c’est beaucoup. Bien sûr, ils le font avec ingestion de sang, et c’est bien. Ensuite, le côté vaguement nécrophile de la chose n’est pas occulté, et cela repousse d’ailleurs Sookie, qui commence par se convaincre que les vampires sont vivants comme tout le monde. Lorsqu’elle découvrira la vérité, il sera trop tard: le sexe avec les vampires est vraiment trop bon; Charlaine insiste beaucoup sur les performances des mâles vampires, ainsi que sur la puissance sexuelle et le plaisir accru qu’apporte l’ingestion de leur sang. Cette part de sexe débridé explique d’ailleurs certainement une partie du succès de la série — et de son adaptation hyper-sexuée (et excellente), True Blood. Au moins, c’est fait franchement.

Si le vampire n’est pas forcément sexué, il demeure un chasseur. Un chasseur qui a l’avantage indéniable que ses proies, elles, éprouvent toujours le désir sexuel. Le sexe peut alors se transformer en une arme de chasse, comme dans The Hunger.

Le lien entre le sexe et les vampire méritera certainement son propre billet.

La société des mortels

Le vampire existe en parallèle de la société. Il peut en vivre très proche ou très loin selon les versions, mais il ne la croise jamais vraiment. Le monde est un aimant pour le vampire; de grandes forces l’y attirent. Le besoin de socialiser, la soif de pouvoir et de domination et, si l’œuvre n’est pas mièvre, le besoin régulier de se nourrir.

Selon qu’il sera vivant ou mort, la relation d’un vampire avec la société changera drastiquement. Bien sûr, il est plus difficile de se mêler aux mortels si on ne respire pas, si on ne transpire jamais ou si, par exemple dans une école secondaire, on ne présente ni croissance, ni acné et qu’on s’y pointe en voiture sport de grand luxe.

Mais il y a plus important: la mort vous place à part. Plus en tout cas qu’une mutation qui vous pâlie un peu la peau. Un mort-vivant peut, sans racisme, s’imaginer supérieur; celui qui voudra contester ça n’a qu’à faire comme lui et triompher de la mort. Il peut se croire sous l’influence du diable; sans être forcé de le croire, on pourra aisément le comprendre. Même s’il est très gentil, il se sentira forcément plus exclus que s’il est simplement un pauvre type affligé de l’éternelle jeunesse et maudit par la santé perpétuelle.

Dormir dans un cercueil

Si le vampire est arrivé jusqu’à nous, c’est à cause de quelques affaires judiciaires célèbres ou des gens, devant des témoins officiels tels que juges, prêtre et médecins, furent exumés et soumis à des mutilations, la plupart impliquant un pieu. Les bonnes gens crédules de l’époque croyaient déjà à l’astrologie, l’alchimie et la résurrection du Christ; avec de tels témoignages, les vampires ne mirent pas de temps à devenir extrêmement populaires. Reste qu’ils ne devaient cette popularité qu’à un fait très troublant: ils devaient retourner à leur tombe le jour venu. Bram Stoker, dont le roman Dracula reposait sur un déménagement de vampire, avait résolu cette question difficile en spécifiant que c’était le sol où il avait été enterré qui importait. Lorsque les caisses de terre deviennent inaccessibles à Dracula, celui-ci ne meurt pas, mais il doit retourner à sa tombe le plus vite possible. Qu’est-ce qui l’y oblige, puisqu’il n’en meurt pas? Une force, simplement. Dracula n’est pas seul dans son cas. La plupart des vampires classiques sont ainsi cloués au cercueil, et s’y font invariablement pincer. Même la très charmante Clarimonde de la Morte Amoureuse.

Conclusion: un vampire mort peut-être soumis sans autre explication à tout un tas de contraintes. Ne pas traverser l’eau courante. Impossibilité d’entrer dans une résidence sans avoir été invité. Peur des croix. Vous pouvez même en inventer. C’est donc une alternative commode pour un auteur qui se soucie de cohérence (une espèce en voie de disparition, semble-t-il).

Et le Cycle des Bergers?

La mort arrive avec son aura terrifiante. Elle effraie; mieux, elle terrifie, et aucune époque, aucune culture, n’est à l’abri de son ombre. La vampire mort vient donc avec une force évocatrice que le vampire «vivant» ne peut que lui envier. Insister sur la différences entre les personnages vampiriques et les mortels ne fait que renforcer chaque fois une impression de malaise. Si ces différences sont originales ou vues sous un angle nouveau, elles seront d’autant plus efficaces.
Je ne priverai pas mon récit de cette puissance. Mes Bergers sont des morts-vivants.

Commentaires

Ouf, ton article est long, mais c'est pas grave, il est complet et consciencieux.

À part que tu écartes l'aspect biologique du vampire (ou du corps vampirisé), ton article est très intéressant.

Le seul élément que je réfuterais est le fait que tu manques quelque chose en refusant d'aller voir le remake de Let me in. Tu n'es pas la première personne à dire, dans mon entourage, que le remake ne vaudrait pas mieux que la première version.

Comme je ne l'ai pas vu, je dirais la même chose, mais inversement. Je n'ai rien compte le fait d'aller voir la première version. Si ça adonne, j'irais. Je considère le remake comme une œuvre réussie (c'est rare pour un remake), même s'il y a un bon lot de copier-coller de la première version cinématographique. J'en parle comme passionnée pour des œuvres moins médiatisées (donc moins courues)

Les deux versions sonnent pour moi un peu comme The Shinning version livre et The Shinning version cinéma, car toutes deux sont littéralement un chef-d'oeuvre, à sa façon.

Rectifications : la fillette dans Let me in (en fait, plus androgyne que vraiment identifié selon un genre précis) aurait à peu près 11 ans, pas 9 ans. Entre deux âges quoi!
Philippe Roy a dit…
En effet, la jeune fille de «Let the Right one In» a l'apparence d'une enfant de douze ans, depuis deux cents ans. C’est cependant clairement une fille.

Ceci dit, j'ai vu un tout petit bout de Let me In, et ça ressemblait vraiment beaucoup à une version édulcorée de l'original. L’original était très dérangeant, trop dur pour un film américain. Juste la tête des enfants fait beaucoup moins «vraie», on voit les tonnes de maquillage et le travail sur la bande. En plus, je suis opposé aux remakes par principe. Les raisons de faire des remakes sont multiples: snobisme, xénophobie, anthropocentrisme, impéralisme culturel, puritanisme, mercantilisme. Aucune n'est uen bonne raison à mes yeux. Ceci dit, les remakes sont souvent les meilleurs films que les Américains arrivent à commettre. Les adaptations des films d'horreur japonais comme the ring et the grudge ont relancé l'industrie du film d'horreur américain. Je ne connais personne qui ne trouve pas que l'original est meilleur, cependant.

Qu'est-ce que tu veux dire à propos de l'aspect biologique du vampire? Il y a un aspect que tu aurais aimé me voir traiter?

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