Nous sommes tous écrivains

Je prends une petite pause des vampires et de leurs lois pour lancer quelques mots dans le cyberspace.

Je suis au café Lézard, sur Masson, mon coin d’écriture le plus usuel, et je pianote sur mon clavier. Je ne suis pas le seul. Sur six personnes, quatre ont un portable. Une autre personne écrit sur des feuilles — je croirais qu’il s’agit d’un professeur en pleines corrections, si nous n’étions pas le 28 juin. Selon toutes probabilités, nous sommes trois écrivains.

Il semble y en avoir des masses, par ici. Ils poussent en grappes, dirait-on. Rosemont, le quartier des écrivains. J’entends parler des écrivains de leur œuvre un peu partout. Une fois au guichet automatique. Une autre fois dans l’autobus.

Selon certains chiffres, il y aurait plus d’un million d’aspirants écrivains en France. Malgré la taille relative de leur population, je ne serais pas surpris qu’il y en ait autant au Québec.

Trop d’écrivains?

Difficile de l’affirmer. Une profusion d’écrivains n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Plus de concurrence? Plus de clientèle, surtout. Les écrivains sont avant tout de gros lecteurs (ou alors ils ne sont pas du tout une concurrence crédible).

Ceux qui souffrent le plus de cette profusion sont les éditeurs consciencieux qui tentent de traiter touts les manuscrits qui leurs sont adressés. C’est connu: il n’y a pas de place pour tout le monde. Et c’est là que surviennent certains problèmes, selon moi.

Quelle option reste-t-il aux écrivains sans éditeur? Cinq, en gros. La première, la plus simple et la plus courante, est de renoncer. La deuxième est de payer très cher une maison d’édition à compte d’auteur. La troisième est de confier ses droits à une de ces maisons d’édition qui poussent en ce moment un peu partout et qui acceptent n’importe quel manuscrit, sans politique éditoriale et sans révision linguistique, moneyant tous les droits pour toujours, et se contente alors de lancer le fichier de l’auteur sur les services d’impression à la demande, les marchands d’ebooks et quelques répertoires gratuits, ce qui équivaut à l’autoédition, spoliation des droits en sus. Il y a l’autoédition proprement dite, entreprise périlleuse, mais moins que les précédentes, selon moi. Enfin, les aspirants auteurs peuvent créer leur propre maison d’édition. Ce n’est pas si rare.

L’autoédition contagieuse

Ces petites maisons, vous les croiserez peu sur les rayons des librairies. Encore mal assurées sur les jeunes jambes, peu distribuées, c’est surtout dans les salons qu’ils vendront leurs coups de cœur. Elles sont nombreuses, et représentent sans doute la meilleure chance d’un inconnu d’accéder à la publication «traditionnelle».
Mais le résultat est souvent décevant. Des couvertures montées à la va-comme-je-te-pousse, les erreurs typographiques parfois nombreuses, et la direction littéraires très souvent indulgente.

Ce sont là les péchés mignons des entreprises au budget minuscule et où la bonne volonté doit remplacer l’expérience. Plusieurs ont la critique dure pour les livres autoédités, parce qu’un auteur peut difficilement exécuter sa propre révision, sa propre direction littéraire et sa propre maquette de livre. La vérité est que ce même auteur n’est pas en meilleure position lorsque vient le moment d’éditer les livres des autres.

Bien sûr, chez ce aventuriers, quelques uns réussissent. Je me risquerais à dire que ceux-là ont déjà une solide expérience, souvent par le biais des différentes revues littéraires. Le reste ne font qu’appliquer un mince verni de légitimité aux travers de l’autoédition. En littérature «générale», l’impact est mineur, puisque les œuvres de mauvaise qualité seront peu lues.

Pas en littérature dite «de genre».

La pollution du genre

Pourquoi? Simplement parce que la production d’œuvre de genre originales est faible, malgré un important public de passionnés.

Ce public est le premier a donner sa chance aux nouvelles maisons et aux nouveaux auteurs. Les petites maisons peuvent alors arriver à y creuser leur niche, alors que les prétendus leaders de l’édition, curieusement frileux, se contentent de nous asséner des traductions et des rééditions de traductions, ignorant les demandes d’un public avide.

Ce public est alors contraint d’encourager, avec une fierté compréhensible, des œuvres mal finies, pourvues de défauts qu’ils ne pardonneraient pas aux traductions. Le résultat, c’est que tout une catégorie d’auteurs se trouvent privée du travail de réécriture dirigé par un éditeur expérimenté qui est la seule véritable manière d’apprendre à écrire. En effet, comment un auteur débutant apprendrait-il d’un auteur débutant?

Et la solution?

La vérité, c’est que le marché a besoin de ces maisons minuscules. Et que certaines, parmi elles, survivront et deviendront les grandes maisons de demain.

Il faudrait néanmoins garder notre esprit critique, et se montrer aussi exigeants envers les productions de nos confrères peu connus qu’envers les auteurs à la carrière internationale qui accaparent la plus belle part des rayons de nos librairies. Ce n’est qu’à ce prix que les auteurs qui partagent avec moi le café Lézard y trouveront finalement aussi leur place.

Commentaires

Wow! Très beau billet. Très honnête aussi. Ça reflète de beaucoup ma propre opinion au sujet de certaines publications à la va-vite.

Merci de nous rappeler (ou rendre compte) les dimensions de l'édition que nombre de personne souhaiterait ignorer ou passer sous silence.

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