Mise en page d’un livre de fiction : les normes, partie 2

Cet article est la suite d’une série sur la mise en page d’un livre de fiction. C’est le deuxième traitant des normes de présentation. Le précédent traitait des problèmes liés à la justification du texte. Le prochain article traitera du choix d’une police de caractères.

Paragraphes et alinéas

Pavés et alinéas — une erreur (heureusement) rare

Dans un article précédent, j’ai exprimé mon agacement concernant la division des paragraphes dans certains livres mal montés que j’ai pu voir.

Il existe de nombreux articles qui discourent, presque à l’infini, sur la longueur des alinéas qui sont appropriés, mais bien peu qui révèlent cette règle fondamentale: il faut choisir entre alinéa et un espace vertical entre les paragraphes. Ces procédés sont incompatibles entre eux, pour une simple et bonne raison: un seul signal suffit au lecteur. Le lecteur n’est pas un imbécile (en principes) et n’a pas besoin qu’on lui cogne sur la tête avec un marteau pour l’informer d’un changement de paragraphe. C’est une règle si bien connue (et intégrée) que les manuels n’y font pas souvent référence. Certains vont même jusqu’à bannir l’emploi de l’espace vertical, qui est une mode anglosaxonne. Je n’irai pas jusque là.

N’empêche, si vous avez du mal à me croire, vous n’avez qu’à faire le test vous-même: allez prendre n’importe quel roman qui passe à votre portée et ouvrez-le. Vous verrez que les paragraphes sont délimités par des alinéas. C’est le cas de tous les livres de fiction en français (et en anglais aussi, d’ailleurs). Et il y a de bonnes raisons à cela.

De manière générale, l’espace entre les paragraphes est nuisible. C’est bien sûr une règle qu’il faudrait nuancer, mais ce n’est pas le propos de cet article. Il suffit de savoir que l’espace entre les paragraphe sépare le gris typographique en plusieurs masses, ce qui nuit à l’unité visuelle de la page. Il rend impossible l’alignement du texte d’une page à l’autre. Il cause l’irrégularité des espaces blancs en bas de page. Enfin, il peut porter à confusion dans les cas (nombreux), où des parties différentes d’un même chapitre sont séparés par une ligne blanche. Il n’a, à ma connaissance, jamais été employé dans un livre de fiction. Il est courant sur le web (par exemple, cet article), mais notez que la plupart des problèmes énumérés ne sont plus applicables dans ce cas.

Je me permets un petit aparté pour souligner ici que cet espace vertical ne devrait jamais être supérieur à la hauteur de ligne, afin de ne pas aggraver son impact sur l’unité de la page. Typiquement, il est égal à la moitié de la hauteur de ligne. Je le souligne, parce que le fait de laisser une ligne blanche entre les paragraphes est une erreur encore trop fréquemment commises par les rédacteurs, qui ignorent les règles de mise en page, ce qui empoisonne la vie des graphistes, infographistes et autres monteurs. Donc, ne séparez jamais vos paragraphes par une ligne blanche.

Quel que soit le mal que l’on peut penser des espaces interparagraphes, ils ne sont pas une erreur. Seulement une faute de goût. Ce qui est une erreur, comme je l’ai exprimé plus haut, c’est d’employer les deux procédés. À ma connaissance, il n’y a que les Éditions de la Mortagne qui commettent cette erreur, qui dévisage l’ensemble de leur production. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais lu un de leurs livres, malgré leur abondant catalogue en fantasy. Espéront qu’ils en viendront bientôt à des pratiques plus professionnelles, et sauveront quelques arbres au passage.

Et si vous montez votre propre livre, pensez à ceci: monter votre texte à l’aide d’un simple alinéa vous fera sauver beaucoup de pages. Profitez-en pour imprimer quelques copies de plus, et rentabiliser votre investissement.

Longueur appropriée d’un alinéa

Je ne vais pas me répandre sur ce sujet. L’alinéa typique dans un livre de fiction est de un et parfois deux quadratins. Employez la méthode qui vous plaît le plus.

Il existe d’autres considérations comme la longueur de ligne, mais comme elles tendent à peu varier dans le contexte qui nous intéresse, s’en tenir à un cadratin est probablement la meilleure solution.

Petites considérations techniques :

  • Ne tapez pas d’espace (ou de tabulation) pour créer un alinéa. Utilisez les styles. C’est plus rapide, plus propre et vous éviterez des ennuis avec la justification.
  • Un cadratin est d’une taille égale à celle du texte. Par exemple, si votre texte est monté en 12 points, votre cadratin aura une largeur de 12 points.
  • Ils n’y a pas de loi divine qui vous force à garder un alinéa de un ou deux cadratins exactement. Si vous trouvez 12 points trop petit et 24 point trop grand, vous pouvez définir 18 points, ou n’importe quelle autre valeur. Ne descendez pas sous un cadratin, cependant.

Alinéa et dialogues

Encore un cas heureusement rare, les distorsions de la réalité à l’approche d’un dialogue. J’ignore pourquoi, mais certaines personnes veulent absolument croire que les règles de la typographie sont trop simples et qu’il faut les compliquer. Les règles de l’alinéa ne changent pas dans les dialogues.

C’est un cas que je n’ai observé aussi qu’une fois, chez les Éditions JKA cette fois. Le tiret qui détermine le changement de voix dans un dialogue doit être aligné avec les autres alinéas, pas avec la marge. Pour avoir essayé de lire deux de leurs livres, je peux vous affirmer que ça n’aide en rien la lecture. L’alinéa donne une information au lecteur quant au changement de paragraphe. Ne le privez pas de cette information.

Dans un autre ordre d’idée, j’ai vu dans les normes d’une maison d’édition à compte d’auteur qu’il faut laisser une ligne blanche au début et à la fin d’un dialogue. Avant que cette maladie ne se propage, non, il ne faut pas laisser de ligne blanche. La ligne blanche ne devrait servir qu’à changer de section au sein d’un chapitre.

Alinéa et chapitres

Je suis parfaitement conscient que les experts de la typographie ont parfois l’habitude de se compliquer la vie inutilement.

Certains énoncent comme une règle que puisque l’alinéa sert à informer le lecteur d’un changement de paragraphe, il est erroné d’en mettre un au premier paragraphe d’un chapitre. Il n’y a pas lieu de s’en faire, puisqu’il s’agit ici d’une question d’usage, et non d’une règle. Ni la lisibilité, ni l’aspect d’un texte ne change selon que le premier paragraphe d’un chapitre porte ou non au alinéa.

Cependant, notons les considérations suivantes:

  • L’usage anglosaxon réprime l’alinéa au premier paragraphe. Il met en même temps les premiers mots en petites capitales (nous reviendrons sur l’usage des petites capitales dans un article prochain). Si vous décidez de recourir à l’un, vous devriez recourir aussi à l’autre.
  • Typiquement, les texte français prennent l’alinéa partout,même au premier paragraphe, et ce n’est donc pas une erreur.

Changement de chapitres

Selon les éditions, la manière de présenter un nouveau chapitre varie. Typiquement, le titre du chapitre apparaît au tiers environ de la page, et le texte débute à la moitié. J’ai déjà vu, en livre de poche, des changements de chapitre sans même de changement de page, sans doute pour des raisons d’économie. Je ne saurais vous le recommander si vous voulez que vos livres gardent un minimum de classe. Certains prescrivent que le chapitre doit commencer sur la page de droite (page impaire). C’est peut-être aller un peu loin, puisque cela implique que certaines pages seront laissées blanches. À vous de décider.

Le titre du chapitre peut être écrit avec une autre fonte que le corps de texte, mais pas nécessairement. C’est l’un des rares endroits où un peu de fantaisie est permise. Restez sobre, malgré tout.

Utilisation de la police de caractères

De nos jours, les termes «police de caractère» et «fonte» (prononcer à la française, par pitié) sont devenus synonymes.

Le choix d’un fonte est un sujet fondamental, qui mérite son propre article. En attendant, on peut énumérer quelques considérations.

  • La même fonte doit être employée tout au long du livre, y compris les notes en bas de page, les annexes ou la préface. Veuillez à ce qu’elle soit complète. Si vous comptez utiliser les petites majuscules, votre fonte doit les comporter (les petites majuscules créées artificiellement par le logiciel sont affreuses, pour des raisons que nous verrons dans un prochain article). De même, elle doit comporter de vrais caractères gras (si vous voulez l’utiliser dans les titres) et de vrais caractères italiques (et non les romaines penchées, que j’ai déjà vues).
  • Utilisez une fonte avec sérifs.
  • Oubliez Times New Roman. Je vous expliquerai.

Entêtes de pages

Les livres de fiction comportent très souvent (pas toujours) des entêtes de page, qui comportent le nom de l’auteur, le titre de l’œuvre ou celui du chapitre (ou de la nouvelle, dans le cas d’un recueil). Ils peuvent apparaître sur toutes les pages, ou seulement sur les pages de droite. Parfois, ils comportent la pagination, parfois celle-ci est reléguée au bas de la page. Vous avez ici une certaine liberté. Retenez cependant quelques faits :

  • L’entête n’est jamais présente sur les têtes de chapitre ou les pages laissées blanches. Ces pages ne comporteront pas de numérotation si celle-ci est placée au haut de la feuille.
  • L’entête ne doit en aucun cas se confondre avec le texte courant. Un espace suffisant devra être conservé. On emploiera aussi divers procédés pour bien distinguer son texte du texte courant, comme l’utilisation des capitales, des caractères gras, un corps de caractère plus petit et peut-être même une autre police de caractère.

En ce qui me concerne, je considère ces entêtes inutiles si elles ne donnent pas de l’information au lecteur. Le nom de l’auteur peut-être pertinent, surtout dans le cas d’un recueil par différents auteurs, et le titre de chapitre ou de nouvelle peut aider un lecteur à se repérer. Surtout, les entêtes seront utiles si le livre comporte des sections comme des annexes, une préface ou des notes de chapitre.

Commentaires

Anonyme a dit…
Merci beaucoup pour ces précieuses précisions.
Unknown a dit…
Ecrire en blanc sur fond noir, c'est également très pourri comme procédé.

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