Dimanche dernier, j'ai eu la chance de revoir, à la télévision, le film «Titus». Revoir parce que, en grand fan d'Anthony Hopkins, je l'avais déjà vu il y a bien longtemps. La première fois, le film avait été une violente claque, déraciant mes attentes, secouant mon estomac. Cette fois-ci, débarrassé de mes préjugés et plus attentif, j'ai pu profiter de l'expérience.

Un enfant est enlevé à ses jeux de guerre et est entraîné en plein drame shakespearien. Il lui manque peut-être trois ou quatre notions d'histoire, car il y a ici et là des anachronismes assez déroutants. Les cavaliers se déplacent à moto, on voit ça et là des références à l'Italie Fasciste, les armes ont parfois des formes très moyen-âgeuses. Bref, c'est tout un amalgamme d'époque qui se mêle ici, donnant à ce film son ton unique. Titus Andronicus, fier général romain et frère du tribun Marcus, revient victorieux du pays des goths, emportant avec lui comme prisonniers leur reine et ses trois enfants. L'enfant sera alors témoin des barbaries les plus morbides. Sacrifice humain, nombreux meurtres, complots, viol, mutilations, trahisons, scandales, exécutons injustes, nouvelles mutilations et même cannibalisme, alors que la vengeance succèdera à la vengeance, et que la folie grignotera peu à peu le vieux général.

La pièce, qui serait la première tragédie de Shakespeare, secoue le monde depuis plus de quatre cents ans. Sa violence inouïe ferait passer Hamlet pour un épisode des Pokemons. Pourtant, à travers ce labyrinthe de folie furieuse, la colossale poésie de l'auteur s'exprime avec une grâce qui étonne encore, malgré la réputation de ce monstre du théâtre.

Le parti d'actualiser une pièce de Shakespeare n'est pas nouveau en soi. Chacun peut aisément en trouver quelques exemples. Mais la réalisatrice (Julie Taymor, qui donnera par la suite l'excellent «Frida») dépasse aisément les autres, se collant fidèlement au texte magnifique, mais en dépassant son propos par des moyens narratifs propres au cinéma. Le choix de faire de l'enfant le témoin de l'action n'est pas innocent, car c'est bien à la guerre qu'il jouait. Puis, au plus fort du drame, le voilà qui joue lui aussi; il est devenu le propre petit fils de Titus. Il participe à sa vengeance, jouit d'avance de faire payer ses crimes à Tamora, qui fut pourtant première lésée. Puis le sang appelle le sang. L'absurdité de la roue de la violence, qui tourne toujours et ne fait qu'écraser, devient manifeste. Il s'apitoie sur le fils d'Aaron, victime innocente des complots et des tueries.

Grand texte, grande direction, cela appelle une grande distribution. Les acteurs sont tous excellents, en effet. Citons Colm Feore, impérial Tribun, Jessica Lange, Tamora parfaite. Mais bien sûr, il fallait pour le rôle de Titus de solides épaules. Le choix de Anthony Hopkins, qui symbolise à lui seul la marque impérissable du théâtre shakespearien, lui qui fit ses premières armes dans Othello dans la troupe de Laurence Olivier, vient boucler la boucle, assurer toute la légitimité de l'exercice. On ne peut remettre en question la vision étrange de l'artiste, puisque celui qui est sans doute le lus grand acteur vivant lui a donné sa voix. Le rôle est difficile. Un homme fier et courageux, moulu par les ans, vit le désarroi, la souffrance, l'humiliation, la destruction de sa chair, l'anéantissement de sa vie et de son héritage. La raison peu à eu le quitte, mais pas sa résolution. Subtilité et excès. Hamlet n'était peutêtre pas un si grand rôle.

Si vous ne l’avez pas vu, pensez-y. Vous avez un rendez-vous avec ce qu'il y a de plus beau et de plus repoussant dans l'âme humaine.

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